Akhenaton : paroles de sage !

Tout va bien pour Akhenaton. Le come-back d’IAM a été triomphal et son cinquième album Je suis en vie semble suivre la même voie. Le Marseillais, de passage à Paris, revient pour Riffx sur la philosophie de l’album, le rap aujourd’hui et, plus généralement, sur l’état de notre société. Un artiste exigeant et posé qui n’a pas la langue dans sa poche.

Votre nouvel album estil un constat amer ?
Un constat oui mais pas seulement amer. Le titre Tempus Fugit évoque justement le fait de s’attarder sur des choses essentielles. Aujourd’hui, pour être heureux dans nos grandes mégapoles, il faut vivre un tas de choses intenses, ce qui n’est plus mon cas avec le recul. Tempo Fugit est un extrait d’un poème de Virgile qui dit « le temps fuit inexorablement pendant que nous restons prisonnier de notre quotidien dérisoire. » Donc le constat amer porte plus sur notre quotidien dérisoire.

Un quotidien dérisoire fait d’Internet, de la prédominance de l’argent et des repères perdus de la jeunesse ?
Pour Internet le bilan n’est pas forcément positif, c’est une pièce à deux faces : pour la musique c’est mortel car tu trouves de tout : impossible de ne pas tomber sur les perles rares que l’on cherche. Mais il faut savoir aussi que les premiers à utiliser le Net sont les groupes extrémistes. Quand tu vois les commentaires laissés sur les sites de journaux installés, c’est un ramassis de messages extrémistes. À un moment il faut arrêter de dire qu’Internet est un espace de liberté qui doit rester sans contrôle, ce n’est plus possible. Quand tu as un espace ou il n’a y a pas de flics, les gens font la police eux même ! Ce n’est plus forcément un espace de liberté.

Pour revenir à la première question, l’album est un constat amer jusqu’au titre Fruits étranges, du moins dans le refrain !
Vivre ensemble avec nos différences, bien sûr que c’est possible ! Sans tomber dans le collectivisme on peut imaginer une meilleure répartition des richesses, sans tomber dans la dénonciation de boucs émissaires. Si je fais référence à la chanson de Billie Holiday (Ndr Strange fruits, en référence aux noirs pendus aux arbres pendant l’époque de ségrégation), on en est plus au lynchage mais au lynchage des idées oui ! Depuis dix ou quinze ans, nous qui avons vécu dans des quartiers populaires nous devons toujours justifier le fait que nous ne sommes ni des délinquants, ni des analphabètes incapable d’aligner dix mots à la suite. Alors que de l’autre côté, et je pense à Zemmour, qui défend des idées simplistes pour le coup et bourré de manichéisme. On nous présente un monde bipolaire, simple. Ça me gonfle ! Quand j’entends le mot « choc de civilisation », je sors de mes gonds. Avec les mots on a créé les maux !

Le discours manichéen et réducteur est aussi porté par le hiphop : dans certains quartiers, des parents, élevés au rap, interdisent à leurs enfants d’en écouter car cette musique est trop violente…
Ce n’est pas le rap qui est responsable ! C’est le rap qui épouse un costume qui n’est pas le sien ; ce sont des discours portés par la téléréalité et la représentation de soi dans les réseaux sociaux. Ce rap est à l’image du prolongement de ces postures autocentrées qui font que certains prennent en photo leur petit-déjeuner pour le poster sur les réseaux sociaux ! C’est un truc qui m’échappe ! Où est-on ? Et encore cet exemple est gentil, plutôt idiot, mais c’est le même tourbillon avec Kim Kardashian au bout de la chaîne.

Quand, selon vous, tout cela a t-il commencé dans le rap ?
Entre 1996 et 1999 le hip-hop prend le relai de la chanson française qui n’arrive plus à se renouveler ! NTM vend plus de 600 000 albums, nous avec IAM on dépasse le million, idem pour le Secteur A, Arsenik ou le 113… La grosse différence avec les chanteurs français, c’est que nous, les rappeurs, avons créé nos propres structures ! Les mecs qui mangent les miettes par terre sont acceptés dans les maisons de disques mais quand tu veux venir à table, ce n’est plus la même chose ! Donc d’un coup, Secteur A est devenu une bande de délinquants, notre structure a été affiliée à la mafia et, tout à coup, on nous a descendus en flèche. Puis, en 1999, est venu le temps des comédies musicales et à partir de 2000 on a vu revenir les télé-crochets qui ont remis au goût du jour la chanson française avec la téléréalité qui a suivi. Donc tous les jeunes rappeurs de 16, 17 ans ont grandi uniquement avec cette culture du « carton vide ». Le rap n’est pas responsable de cette culture mais il en est l’un des symptômes. Cela dit, quand on te raconte qu’à 50 ans, « si t’as pas de Rolex tu as raté ta vie », l’exemple vient d’en haut. J’ai déjà dénoncé cela et ça m’a couté trois contrôles fiscaux ! Manque de bol, on est en règle, à tel point qu’on nous a remboursé de l’argent ! C’est plutôt du côté des idoles de la France bling-bling qu’on devrait se tourner. Les rappeurs paient leurs impôts en France !

Que manque-t-il dans le discours ambiant aujourd’hui ?
Il faut retrouver un peu de mesure. Il y a trop de passion dans tous les medias. Le monde est aujourd’hui trop manichéen. Mais l’exemple vient d’en haut : les hommes politiques vont dans les medias pour décrocher une « punch line » qui sera repris dans d’autres médias. Si les responsables politiques sont dans la démesure, les gamins vont les copier. Même s’ils ne les écoutent plus, ils entendent la forme. Les gamins comprennent que derrière les guerres d’aujourd’hui, en Irak ou en Lybie, se cachent des enjeux industriels. Les gamins se croient plus forts que ce monde-là mais, eux, finissent en prison. C’est ce que je dis dans mes paroles : « Je me suis trompé de monde car j’ai cherché la justice ».

Ouvrir un album avec un sample de L’enfant seul d’Oxmo Puccino… Ce n’est pas un hasard ?
Et le terminer avec des scratchs de Shurik’n c’est très hip-hop en fait ! C’est la culture du partage, de l’échange. C’est une culture d’acteurs, certes, mais aussi une culture d’échanges. Je me souviens du début de notre carrière avec IAM : on allait en Allemagne, on découvrait des gens dont on ne comprenait pas la langue mais on partageait les valeurs. Ces B Boys étaient plus proches de nous que certaines personnes de notre propre quartier.

Laurent Garnier disait dernièrement qu’il se posait beaucoup de questions sur la longévité. Faut-il, à vos âges, défendre la nouveauté ou le passé ?
La techno obéit aux mêmes règles que le rap : elle avance tout le temps ! Les gens qui ne regardent que dans le rétro me posent un problème. J’entends quand on me dit : « le rap c’était mieux avant » mais je ne suis pas d’accord car ils s’excluent eux même du hip-hop. Le rap est une musique d’expansion qui se projette dans le futur. Donc, si tu es un vrai B Boy tu dis : « le rap ce sera mieux demain ! » Il faut respecter le passé mais pas trop s’attarder dans le rétro.

Y a-til des thèmes que l’on s’interdit dans le hip-hop ?
Oui si tu sens que tu ne vas pas être pertinent. Car le but final est de faire un bon titre. Ça m’est arrivé de commencer un titre avec IAM et d’attendre trois ans avant de le finaliser. L’écriture est une série de verrous : tu peux déverrouiller en deux minutes ou attendre des mois avant de trouver la solution. Si l’écriture n’était que des maths, ce serait bien chiant. C’est ce que veulent nous faire croire le marketing et l’industrie du disque en la rationnalisant mais ça ne marche pas…

Propos recueillis par Willy Richert

Découvrir :

Akhenaton – Extrait de : J’aime le rap et le rap m’aime feat. Shurik’N

Crédit Photo : © Nicolas Guerin