Comment les DJs français ont envahi les US ?

Deuxième partie. Des années 1990 à nos jours

Après la vague disco des années 1970, les producteurs et DJs français ont connu une seconde vague de succès aux États-Unis : La french touch. Celle-ci remet la France au centre de la piste des clubs du monde entier. En attendant l’explosion que nous connaissons aujourd’hui…

Des punks idiots !

S’il est un groupe qui aura remis la France au cœur de la carte électronique mondiale ce sont bien les Daft Punk ! En 1997 « Homework » devient l’album de musique électronique le plus vendu au monde mais surtout redonne confiance à toute une frange de musiciens parisiens, un peu las de copier les Anglais. La French Touch s’apprête à retourner le monde. Le succès planétaire des Daft Punk déferle aussi aux États-Unis où ils se produisent en 2006 dans le plus grand festival américain le Coachella (35 000 personnes). Guy Manuel de Homem-Christo et Thomas Banglater recevront deux Grammy Award en 2009. L’influence des Daft Punk, sans doute trop techno pour le public américain, sera plus significative dans le cinéma puisqu’ils sont choisis pour composer la Bande originale du film blockbuster Tron : l’héritage en 2010.

Des bombes avant les missiles !

Dans la foulée des Daft Punk, des groupes comme Air et Justice (drivé Pedro Winter, l’ex manager des Daft Punk) connaitront eux aussi une reconnaissance, relative, outre-Atlantique mais rien de comparables avec la suite… Notez que Madonna en 2002 a demandé au très underground Mirwais (ex-Taxi Girl) de produire son album « American Life ». Si cet album n’est pas le plus grand succès commercial de la Madone, il reste l’un de ses plus audacieux et marquera les bases de futures collaborations entre l’Américaine et les producteurs français, dont Martin Solveig.

Des Français et des Américains à Ibiza !

Si la vague dance déferle aux États-Unis aujourd’hui, les remous ont débuté à Ibiza, la Mecque des clubs, le Saint-Jacques de Compostelle des clubbers du monde entier. Là-bas les prophètes se nomment Cathy et David Guetta. Pour saisir comment le son euro dance de David Guetta a conquis les États-Unis, il faut comprendre qu’avant cela le hip-hop régnait en maître sur les charts américains. La musique électronique a toujours été un courant très alternatif, réservé à quelques férus aux oreilles affutées. Ainsi, quand Kelly Rowland (ex-Destiny Child) et Will I AM débarquent aux soirées « F***Me I’M Famous » des Guetta, ils découvrent des milliers de fans en transe et un son qui leur est alors inconnu. C’est à ce moment-là qu’un échange de marque va se développer : Guetta fourni la matière sonore aux rappeurs et aux chanteuses de R&B. En échange, Guetta se verra offrir l’opportunité de percer aux États-Unis. On connaît la suite. Des artistes français comme Bob Sinclar vont s’engouffrer dans ce troc très intéressé. Il en ressort une multiplication des featurings (Akon, Will I AM, Kid Cudi, Snoop Dog, Sean Paul…). Voilà comment, aujourd’hui, nous en sommes arrivés à une nouvelle uniformisation de la musique dance américaine, fruit de compromis artistique et marketing.

Bien ou bien ?

Ce raz-de-marée français sur la sono mondiale n’est pas sans poser problème : certes, les journalistes chauvins vont couvrir d’éloges ces musiciens qui font beaucoup de bien au commerce extérieur mais, artistiquement que va t’il rester de cette déferlante ? David Guetta et Bob Sinclar sont trop malins pour ne pas savoir que toute est affaire de compromis quand on discute « business » avec les stars américaines. Guetta le reconnaît lui-même dans de nombreuses interviews. Cette vague euro dance permettra-elle aux autres DJs français, plus underground, de percer sur le marché américain ?

Le mot de la fin peut être donné à Vitalic, l’un des Français les plus bookés dans les festivals internationaux. Son expertise est sans appel : « Au festival Creamfields, un festival anglais itinérant qui s’est exporté dans le monde, j’ai participé durant trois ans à la tournée australienne : la première année ils ont fait 30 000 personnes par jour avec beaucoup d’artistes électro pointus et peu connus. L’année dernière j’y ai joué avec David Guetta comme tête d’affiche, et à Sidney nous avons eu 8 000 personnes seulement. Quand les festival et les médias n’éduquent pas les gens à d’autre son que le son commercial, au bout d’un moment tu tues l’underground. L’uniformisation d’un son n’est jamais bonne pour une scène ! Et ce qui se passe aux États-Unis et en Australie va nous tomber dessus. »

Bien entendu, on peut se féliciter de l’incroyable essor du son « à la française », véritable locomotive du commerce extérieur, mais la musique n’est pas seulement une affaire de gros sous. Si les artistes leaders de cette scène électronique revendent ad nauseam les mêmes recettes rythmiques à toute la scène rap et R&B américaine, tôt ou tard celle-ci devrait se lasser, faute d’originalité. Il est du devoir de ces artistes de mettre en avant d’autres sons, d’autres DJs afin d’éviter un essoufflement de la dance « made in France ».

Willy Richert