En voyage avec Calexico

Les quatre années de silence de Calexico se sont achevées avec la beauté et la classe de « Algiers ». Comme à l’habitude du groupe, ce septième album sorti en septembre prend ses sources dans les rivières métissées, mais y rajoute cette fois des cascades d’eaux nouvelles. Le résultat d’une fraîcheur sans conteste suscite les plongeons successifs, encore et toujours. Calexico c’est la beauté du paysage musical.

Dans le monde du rock il y a ceux qui font étalage de frasques, d’excès, de scandales… Et il y a Joey Burns et John Convertino, les deux fondateurs et piliers de Calexico. Polis, discrets, humbles, impliqués et appliquées, les deux américains n’ont jamais fait parler d’eux autrement que pour leurs partitions irréprochables et leurs jolies prestations scéniques. Peut-être parce qu’au fond ils ne font pas vraiment du rock, et que dans leur monde il y a autant de folk, de country et de blues. Sans compter l’élément essentiel qui a toujours été leur signature : la présence du mariachi. Ces trompettes mexicaines omniprésentes mariées aux délicates compositions et à la voix particulière de Burns, voilà ce qui a fait connaître le groupe depuis ses débuts il y a plus de quinze ans. Et voilà également la raison de son nom, Calexico, celui d’une ville de Californie jouxtant la frontière avec le Mexique.

« Petit côté jazz »

Le temps a passé en faisant défiler les disques superbes et les collaborations nombreuses (avec Jean-Louis Murat, Françoiz Breut ou Gotan Project entre autres…). Et l’heure du septième album sonnant, « Algiers » se révèle sans décevoir ni trahir ce que Burns et Convertino savent faire au mieux. Cette fois, une autre influence s’affiche plus clairement, reléguant les trompettes fétiches à un rôle secondaire : Cuba, ses pianos et ses rythmes particuliers. Les deux compères ont donc encore étendu leurs frontières latinos. Mais cela ne s’arrête pas là. « Algiers » est en fait un quartier de la Nouvelle-Orléans, là-même où cet album a été enregistré. Alors forcément, en bonne éponge de notes et d’humains croisés au gré de la vie, Calexico a également ingéré des saveurs venues de cette partie des États-Unis plus européenne, dont ce petit contour jazz qui se frôle par touches de peintre habile.

Road-trip musical

Parfois nostalgique voire sombre, d’autres fois lumineux et planant, « Algiers » se décortique à la minute, flottant d’une frontière à l’autre sans heurts ni faute de goûts. Les paroles empreintes des départs de toutes sortes affichent le trajet des âges qui savent ce que l’on perd. De la plage instrumentale à celles chantées en espagnol, de Burns poussant sa voix comme jamais à la douceur de ses murmures, les mélodies restent d’un vol d’aigle haut et gracieux. Redoutablement efficace, véritable atout à la rêverie ou au long road-trip dans des déserts arides, ce disque a le pouvoir indéniable d’être un coup de cœur dès sa première écoute, et le désavantage logique d’ennuyer d’emblée celui qui n’y accrocherait pas. Parce que dans les voyages aussi contemplatifs, on prend toujours le risque d’oublier des passagers sur le quai.

Il y a des groupes ainsi faits : ils ne décrochent ni enthousiasme tonitruant ni cris fanatiques, mais savent vriller les intérieurs, font écho dans ce qu’il y a de plus intime, sont des aventures d’auditeur que l’on vit isolé. Comme quand un livre sait nous prendre entièrement. Ou un paysage se faire contempler en silence. Calexico est en tête de file de ceux-là.