Les 5 albums du mois de février

En 2021, une fois par mois, RIFFX vous invite à un nouveau rendez-vous sous forme de chroniques musicales. Les 5 albums du mois de février, avec Django Django, François & The Atlas Mountains, Mansfield.TYA, Mogwai et Slowthai, c’est tout de suite !

Django Django – Glowing in the Dark
(Because/Caroline)

Comme à chaque sortie de Django Django, on a une pensée compatissante pour les disquaires et les bibliothécaires qui devront décider dans quel bac cette œuvre sera classifiée. Il faudrait inventer une étiquette qui regrouperait d’autres disques chers à ces esprits bouillonnants, notamment Screamadelica de Primal Scream, Speakerboxxx/The Love Below d’OutKast, Odelay de Beck et Ill Communication des Beastie Boys. Leurs points communs : s’autoriser toutes les fantaisies, propager une joie comme une pluie de confettis, jouer de la musique dans le sens le plus ludique du terme. Après une année 2020 plombée par l’angoisse d’être contaminé, la fermeture des lieux culturels, la distanciation physique et, en guise de bonus britannique, le Brexit, on avait besoin d’entendre un album comme Glowing in the Dark. Avec ses rythmes irrésistibles, ses psalmodies euphorisantes et ses trouvailles audacieuses, Glowing in the Dark perpétue le grand dépoussiérage pop que Django Django a entamé dès ses débuts. Un décloisonnement, façon LCD Soundsystem ou Hot Chip, mais aussi une vraie recherche nourrie d’expérimentations pour inventer, sans même le vouloir, la pop du futur. Ces dernières années, les frontières entre rap, r’n’b et electro ont vu leurs contours disparaître pour former un nouveau genre hybride. Django Django va encore plus loin en incorporant tout ce qui lui chante avec brio. Le morceau éponyme à tendance baggy/dance côtoie le pétillant et cosmique Right the Wrongs en toute harmonie. La berceuse folk The World Will Turn, qui incorpore une guitare acoustique, un violon délicat et des petites touches de xylophone, se juxtapose à la fabuleuse cavalcade rockabilly Kick the Devil Out, sur laquelle un violon orientaliste fait irruption. Le quatuor, qui avait déjà accueilli quelques collaborations sur Marble Skies, continue ici d’ouvrir ses portes. Ainsi, on a l’excellente surprise d’entendre la voix de Charlotte Gainsbourg sur le superbe Waking Up et on fait la connaissance du brillant neveu de Kate Bush, Raven Bush, talentueux violoniste que Jimmy Dixon a rencontré à Margate. Sur ce quatrième album excentrique et pétillant, les Britanniques de Django Django continuent de rénover l’electropop le sourire aux lèvres. Un parfait antidote au Brexit et au marasme.

François & The Atlas Mountains – Banane bleue
(Domino/Sony Music)

Dix ans exactement après E Volo Love, album solaire porté par le tube Les Plus Beaux, Frànçois Marry fête ses noces d’étain avec Domino, le label londonien de Laurence Bell dont il est toujours le seul artiste français (véritable exception culturelle dans un catalogue anglo-saxon), en faisant paraître Banane bleue, son septième LP. Bien qu’estampillé Frànçois & the Atlas Mountains, aucun musicien de son groupe à géométrie variable (du bassiste Amaury Ranger au batteur Jean Thévenin, qui l’accompagne toujours sur scène) ne figure paradoxalement au générique du successeur de Solide Mirage. Déjà, en 2018, le natif de Saintes s’était échappé avec Les Fleurs du mal pour se “retrouver seul face au miroir de Baudelaire”. Ce disque solo marquait aussi le retour à Paris pour ce chanteur nomade, habitué à vivre à l’étranger (de Bristol à Bruxelles). Associé au brillant Finlandais Jaakko Eino Kalevi, compagnon de label et producteur de Banane bleue, Frànçois a réalisé un enregistrement ambulant à Berlin et Athènes, à la recherche d’“un parfum romantique dans l’électricité européenne”. En ouvrant ses dix nouvelles chansons par The Foreigner, qui mélange cinq langues (grec, finnois, espagnol, italien et français) dans le texte, Frànçois affirme encore davantage son caractère polyglotte. Dans ce disque d’errance contemplative (Par le passé, Lee-Ann & Lucie) et de souvenirs colorés (Julie, Holly Golightly), son auteur s’essaie autant à “une forme de naïveté douceâtre” (le single Coucou) qu’à la tournerie pop (Tourne autour, Revu). Un septième album de pop baladeuse et un nouveau pas de côté poétique pour Frànçois & the Atlas Mountains.

Mansfield.TYA – Monument ordinaire
(WARRIORECORDS/Diggers Factory/PIAS)

Six ans après avoir clamé vouloir “faire la fête à en crever”, Julia Lanoë et Carla Pallone reviennent bousculer la chanson française avec Monument ordinaire. Un album de deuil joyeux, mais surtout une œuvre humaniste et profondément sensorielle qui renferme l’idéal de la musique de Mansfield.TYA. Hantés par la mort, Monument ordinaire se positionne très clairement du côté du sensible, préférant la débauche d’émotions à la retenue, sans que cela soit torturé ou malsain, mais plutôt raffiné, tendre et lumineux, confirmant l’ambivalence d’une plume capable de la poésie la plus fragile comme de la pire noirceur. Il y a ainsi deux albums dans Monument ordinaire. Le premier est faussement apaisé : c’est une succession de comptines lugubres, de complaintes contrastées, entre des mélodies entêtantes, dégagées de toutes tentations emphatiques, et des émotions bouillonnantes, dévastatrices, qui se chantent aussi bien en français qu’en allemand ou en italien. Le second est grave et nettement plus dense, laissant davantage d’espace à l’expérimentation, aux structures progressives et aux complications mentales. Entre ces deux registres en perpétuelle collision se noue une frappante harmonie, toujours très douce et merveilleusement entretenue par les invités : FanXoa de Bérurier Noir, David Chalmin (collaborateur de Matt Elliott et The National), chargé d’amener délicatesse et orfèvrerie au cœur des arrangements, mais aussi Odezenne, le temps de deux morceaux qui illustrent à merveille cette faculté qu’a le duo à évoluer en équilibre stable entre la pureté du chant et une instrumentation fourmillante. Il y a déjà Le Couteau, une petite ritournelle où Jaco d’Odezenne se fait l’écho de l’amour qu’elles portent aux chansons d’Anne Sylvestre, avec qui elles partagent un goût pour les textes bruts, les mélodies dénudées et cette nécessité d’“écrire pour ne pas mourir”.

Mogwai – As the Love Continues
Rock Action, Temporary Residence Ltd

“Début 1996, une bande de musiciens de Glasgow réunis sous le nom de Mogwai dévoile un single en guise de préambule, Tuner/Lower, la première référence du label indépendant qu’ils viennent de créer, Rock Action. Depuis, le catalogue du label s’est largement étoffé, non seulement avec tous les artistes signés mais aussi grâce à tout ce que Mogwai a publié au cours de ses vingt-cinq années d’existence. Dix albums studio, dont As the Love Continues, ainsi qu’une ribambelle de projets parallèles : EP, bandes originales de films et de séries (Les Revenants, ZeroZeroZero). Autant d’occasions de décliner le post-rock dans tous ses états, de ses caractéristiques les plus brutales et claustrophobes jusqu’à de vaporeux moments d’élévation, de lévitation même. Pandémie oblige, ce dixième LP a été enregistré non pas dans le studio de Dave Fridmann aux Etats-Unis, comme initialement prévu, mais en Angleterre par les membres de Mogwai, connectés en permanence en visio avec le producteur de l’autre côté de l’Atlantique. On y entend des collaborations avec Atticus Ross et Colin Stetson. En s’accompagnant d’une batterie implacable, de mélodies d’une beauté terrassante et de guitares déchiquetées, ils parviennent à communiquer des émotions intenses, en particulier sur les montées en puissance qu’ils échafaudent avec brio. Citons par exemple la conclusion à couper le souffle, It’s What I Want to Do, Mum, ou la fabuleuse Drive the Nail. On a hâte de les retrouver sur scène pour célébrer les vingt-cinq ans de carrière de ces musiciens enflammés. Fidèles au post-rock.

Slowthai – TYRON
(Method Records/Caroline)

A 26 ans, le rappeur originaire de Northampton n’a toujours pas la langue dans sa poche et continue de critiquer les dirigeants de son pays comme les haters qui s’en prennent à lui. Pour comprendre la rage qui habite Tyron Frampton, 26 ans, il faut se plonger dans son morceau le plus autobiographique, Northampton’s Child, paru en 2019. Une déclaration d’amour à sa mère, la “Queen” comme il l’appelle, qui l’a eu à l’âge de 16 ans. Sa sœur naît un an plus tard. Elle les élève seule en bossant d’arrache-pied. Surviennent un beau-père drogué et violent, de multiples déménagements et un frère qui meurt de maladie à 1 an. Tyron développe un comportement agressif, sèche l’école, zone ici ou là. Bien heureusement, il est baby-sitté de temps à autre par l’un des fondateurs de Sidewinder, un collectif d’organisateurs de raves mixant grime, dubstep et UK garage devenu culte dans le milieu. Tyron s’imprègne des mixes mais reste à distance. “Quand j’étais plus jeune, je voulais être pâtissier. C’était mon vrai rêve. Je voulais faire des desserts complexes avec plein de saveurs et d’esthétiques folles. Ça n’a jamais marché. Ce n’était peut-être pas les meilleurs desserts…” Son second LP, TYRON, avec des majuscules dans le texte, martèle son prénom. A l’intérieur, slowthai s’éloigne de sa description minutieuse d’une Angleterre de lads plongés dans la dope pour se dévoiler davantage, quitte à exposer blessures et part d’ombre. Parmi les motifs d’excitation du nouvel album : terms, en featuring avec les Américains Dominic Fike et Denzel Curry, comme un pont construit au-dessus de l’Atlantique. Inspirée du rap emo – ce rap mâtiné d’une tristesse pop emo codéinée –, la production de terms détonne dans l’univers slowthai et prouve la capacité de réinvention hyper-rapide du jeune rappeur. Sans oublier le puissant MAZZA, son featuring tripé avec A$AP Rocky. C’est bien simple : Tyron Frampton est un nouveau Mike Skinner, le leader de The Streets. Même incarnation d’une Angleterre fauchée qui tue le temps sous ecsta.