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Une fois par mois, RIFFX vous invite à son rendez-vous original sous la forme de chroniques musicales. Les 5 albums du mois de juin 2022 – avec Angel Olsen, Yann Tiersen, Hercules and Love Affair, Florent Marchet et Zola Jesus – c’est tout de suite !
Si Big Time fait suite dans la discographie d’Angel Olsen à All Mirrors, son album maximaliste de 2019, plusieurs projets ont procédé de cette traversée des miroirs : Whole New Mess (2020) avait en ligne de mire le dépouillement, le dévoilement, le retour aux sources, quand, à l’inverse, l’EP Aisles (2021) montrait d’elle une facette expansive à travers des reprises exubérantes. À la manière d’une Lana Del Rey qui a fait suivre son prolixe Norman Fucking Rockwell! (2019) par le sublimement apaisé Chemtrails over the Country Club (2021), Angel Olsen passe de l’œuvre-monde au frisson classiciste. On y croise d’ailleurs Drew Erickson (au piano et aux superbes arrangements de cordes), qui avait œuvré sur le Blue Banisters de Lana en 2021.
Avec ses chansons à l’acidité capiteuse, Big Time (réalisé avec Jonathan Wilson) fait d’Angel l’égale d’une Dory Previn : installant une voix absolument souveraine, le disque s’ouvre sur une break-up song qui entre d’office au panthéon d’un genre comptant tout de même parmi ses fleurons l’essentiel du Blood on the Tracks de Dylan. On trouvera au fil de l’album des notes discrètes de claviers mercuriels, mais aussi des vagues presque spectoriennes, des montées ménagées par les batteries, qui désarçonnent et distillent de fausses alertes avant d’exploser sans crier gare. Sur Go Home, elle côtoie la brûlure d’une PJ Harvey puis, sur Right Now, la caresse de Dusty Springfield
avant que les couplets ensoleillés ne se terminent en tempête.
Son plus beau prédécesseur serait peut-être South Atlantic Blues de Scott Fagan (1968) – pour cette tristesse toisée en face, pour son utilisation parcimonieuse mais cruciale des cuivres. Mais Big Time est aussi un disque de deuil, Olsen l’ayant enregistré peu après avoir perdu ses deux parents. Dans la plupart des chansons de cet album irrigué de vie, Angel constate dans sa chair et ses nerfs la puissance qu’il y a à faire un pas en arrière pour considérer le chaos de son existence, mais aussi pour donner une forme à nos errements.
Ce disque qui “cherche le soleil” trouve au passage une lune de nuit américaine – un Chasing the Sun en guise de finale hollywoodien se termine par les mots “driving away the blues”. Alors on remercie Angel Olsen de nous avoir laissé·es, avant de partir vers de nouveaux horizons, un tel classique intemporel tissé de si contemporaines aspirations.
Moins d’un an après la sortie de Kerber, Yann Tiersen – décidément très prolifique et inspiré ces derniers temps – est déjà de retour avec un nouvel album. Intitulé 11 5 18 2 5 18, celui-ci comprend neuf plages, toutes parées de suites numériques en guise de titres. L’album s’est profilé lors de sessions préparatoires réalisées par Tiersen à l’Eskal, son studio personnel sur l’île d’Ouessant, en amont de sa prestation live en septembre 2021 au SuperBooth, grand raout berlinois dédié aux synthés et instruments électroniques. À la suite du report de sa tournée, prévue à partir de l’automne 2021 et décalée de plusieurs mois en raison de la pandémie, le musicien finistérien a eu le temps de prolonger ses expérimentations en profondeur. Prenant comme sources principales Kerber et Dust Lane (album antérieur, paru en 2010), il a minutieusement retravaillé et transformé la matière originelle pour donner forme à de véritables nouvelles compositions.
Le résultat final arbore une franche coloration électronique, avec de belles rafales de rythmes sur certains morceaux, et élargit ainsi encore l’horizon sonore ouvert par Kerber. Donnant son titre à l’album, la première plage (et la plus longue, près de douze minutes) apparaît comme la plus dense et captivante : faite d’ardentes ondulations mélancoliques autant que de stridentes frappes hypnotiques, une très intense introduction. Toutes trois parfaitement taillées pour le dancefloor, la quatrième plage – aux fortes résonances kraftwerkiennes –, la cinquième – aux ravageuses vibrations profondes (pure techno berlinoise, à la Ellen Allien) – et la huitième – aux ensorcelantes distorsions – se détachent également. L’album s’achève en mode planant avec une plage plus mélodieuse, à laquelle la voix d’Émilie Tiersen, alias Quinquis, confère un relief tout en subtils frémissements.
Groupe concept à géométrie variable, construit autour du producteur et DJ américain Andy Butler, Hercules & Love Affair s’est affairé, bien avant que ce soit la mode, à remettre au goût du jour le disco et le garage new-yorkais. DFA, le label emmené par James Murphy de LCD Soundsystem, ne s’y est pas trompé, signant d’emblée en 2007 le premier album éponyme du groupe. Une plongée brute et naïve, mais inspirée et énergique, au cœur du dancefloor. Avec en fer de lance Blind, tube intemporel et fusion parfaite de la mélancolie et de l’hédonisme qui irrigue la dance-music. Une thématique que Butler va s’employer à développer sous ses dehors les plus queer sur quatre albums explorant les différentes facettes de la club culture et lors des performances live hautes en couleur du groupe. Absent des radars depuis l’album en demi-teinte Omnion (2017), Andy Butler a dû pallier au départ de plusieurs membres d’Hercules & Love Affair et se battre contre ses démons intérieurs, avant d’annoncer son come-back avec In Amber. Un cinquième album, dont la pochette, un monolithe recouvert d’un voile transparent perdu dans la brume ambiante, annonce la couleur musicale : à savoir l’introspection. Un disque où Andy Butler met de côté les déhanchés de ses premiers disques pour explorer de nouveaux territoires musicaux tout en scellant ses retrouvailles avec l’artiste Anohni et sa voix à la fois androgyne et céleste.
Tout au long des douze titres d’In Amber, où l’électronique cède la place à l’organique, où les rythmiques résonnent martiales, le piano se la joue romantique, la harpe clinquante et les voix ténébreuses, Andy Butler dévoile son amour pour les ambiances embrumées et gothiques des années 1980 et sa passion pour des groupes comme This Mortal Coil, Diamanda Galás ou Dead Can Dance, sans jamais réussir malheureusement à atteindre leur délicat équilibre entre baroque et expérimental, maniérisme et profondeur, légèreté et élégie. Disque monotone, brutal et peu inspiré, comme de la musique de cabaret revisitée à la sauce indus, In Amber irrite plus qu’il ne séduit. Notamment par son côté surjoué et empathique qui lui donne parfois des allures de bande-son pour un spectacle du Puy du Fou.
“Je venais juste de terminer mon premier roman, on annonçait le premier confinement. Je ne pensais pas repartir en écriture tout de suite. Je ne pensais même pas à l’écriture d’un nouvel album de chansons”, lâche franchement Florent Marchet dans la biographie de Garden Party, son cinquième disque espéré depuis Bambi Galaxy en 2014. Mais le confinement – historique – a changé la donne pour son auteur-compositeur-interprète qui, plutôt que d’attendre la saint-glinglin, se remit “de justesse” au piano depuis sa demeure-studio de Maisons-Alfort où il vit en famille depuis des années. Car si Bambi Galaxy lui valut quelques honneurs, ce disque embarquait Florent Marchet dans une odyssée futuriste à la Katerine/Houellebecq qui, avec le temps, s’avérait moins convaincante que ses premiers pas discographiques, inspirés par son Berry natal (Gargilesse, 2004) et son appétence pour la chanson paysagère (Rio Baril, 2007). Au point qu’il fut souvent apparenté à Sufjan Stevens, autre géographe musical avec qui il partage une science certaine des arrangements d’orfèvre.
Dans ce pays devenu soudainement silencieux au printemps 2020, Florent Marchet puise son inspiration dans “des histoires qui se passeraient dans des quartiers résidentiels, derrière les murs, en France, l’envers du décor en somme”. Avec sa manière singulière de marier mélodies pop et textes crus, le quadragénaire retrouve, dès le single d’ouverture De justesse, son savoir-faire lumineux, passant en revue les sujets qui lui tiennent habituellement à cœur : les enfants (De justesse, La Vie dans les dents), la famille (Paris Nice, En famille), les amis (Freddie Mercury, Les Amis), les soubresauts sentimentaux (Cindy, L’Éclaircie ou l’Incendie), la vie vide (Créteil Soleil), les envies d’ailleurs (Loin Montréal, en duo touchant avec P.R2B), la dépression (Lindbergh-Plage) et même les violences conjugales (Comme il est beau).
En observateur pointilleux et aquoiboniste, Florent Marchet sait trouver les mots justes, la formule qui fait mouche. Loin de se contenter
de son seul piano droit ou à queue, comme lors de sa tournée préalable pour interpréter ses nouveaux morceaux en public, le chanteur s’entoure d’une violoncelliste (Anne Müller), d’un batteur (Raphaël Chassin), d’un joueur d’ondes Martenot (Marc Chouarain), d’une section de cuivres et, bien sûr, de son complice guitariste François Poggio, qui l’accompagne depuis ses débuts en 2002. Peuplée de personnages multiples aux trajectoires diverses, la Garden Party de Florent Marchet pourrait, selon son auteur, se traduire par “paradis perdu, si on voulait être lacanien du dimanche”. Ce n’est pas la moindre vertu de ce cinquième album à l’inspiration pleinement retrouvée.
Dans une passe d’armes d’anthologie, que les historien·nes seraient bien avisé·es de ne pas oublier au moment de rédiger leur Grande Histoire du métavers et autres paradis artificiels interlopes, Grimes et Zola Jesus ont résumé en quelques tweets les débats éthiques qui agitent le monde de la création : la conception humaine de l’art vit-elle ses derniers instants et les artistes doivent-ils et doivent-elles se soumettre à la toute-puissance
des intelligences artificielles ? C’est l’avis de la première, qui s’est vue taxée de “cynique” aux “privilèges fascistes” par la seconde. Est-ce parce qu’elle exècre cette conception de la domination numérique, antidémocratique et ultra-capitaliste que le dernier album de l’Américaine semble sonner plus organique que jamais ? On peut le supposer. De ce point de vue, Arkhon (référence gnostique à un Dieu qui serait une sorte de virus, nous apprend-elle dans le communiqué de presse) se pose en version augmentée de Conatus (2011), un troisième long format qui la voyait pénétrer pour la première fois les territoires broussailleux de la pop. En mêlant références industrielles (Throbbing Gristle, Pharmakon), voix d’opéra et dream pop (Cocteau Twins), Nika Roza Danilova (son nom à la ville) poursuit sa mue sous les coups de boutoir de percussions martiales, en se déployant dans le monde comme jamais auparavant. Là où Grimes prophétise transhumanisme totalitaire et fées cybernétiques, Zola Jesus redonne corps au vivant dans une course effrénée et grandiose.
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