PJ Harvey. The Hope Six Demolition Project

Pour son neuvième album studio, PJ Harvey a traversé le monde et étoffé sa musique d’une dimension encore plus osée qu’auparavant. « The Hope Six Demolition Project » est un voyage dans trois endroits de misère de notre planète, sans concessions, d’une volée haute et d’une densité rare.

Le temps de l’introspection est décidément derrière pour PJ Harvey. Depuis son précédent album « Let England Late » qui se consacrait aux guerres passées et présentes, la rockeuse poète avait sorti ses compositions des humeurs et douleurs humaines personnelles pour chanter celles, bien plus engagées, de notre monde malade. Et pour ce dernier-né « The Hope Six Demolition Project », elle a même pris ses carnets de notes sous le bras pour un voyage en terres de misère, qu’elle soit nichée au cœur du quartier le plus pauvre de Washington ou dans les contrées du Kosovo et d’Afghanistan. De cette balade, accompagnée du photographe Seamus Murphy, homme habitué des terrains difficiles, est d’abord né un livre en commun dans lequel la chanteuse britannique signe des textes poétiques illustrant les clichés. L’ouvrage est intitulé The Hollow Of The Hand.

Voir et observer
Mais bien évidemment PJ Harvey ne pouvait pas se contenter de mots. Il fallait qu’un album naisse de ce qu’elle avait vécu et observé. C’est là la genèse de ce neuvième album abrupt, acéré, dense. Jamais l’Anglaise n’aura aussi bien joué de sa voix qu’elle pousse parfois en hauteurs étonnantes. Jamais non plus les textures de ses chansons ne se seront acheté une liberté si totale. Les arrangements ne se gênent pas pour proliférer et, de sections de cuivres pétaradants en longues plaintes de saxophones, de chœurs masculins profanes en percussions précises, on ne peut s’empêcher de trouver dans son rock indépendant un sacré relent de free-jazz, une satanée dose de pop affranchie. Les onze titres qui composent ce nouvel album sont remplis de détails, de morsures, de divergences… À la noirceur, Harvey a préféré l’énergie, une forme de mordant qui alterne entre rage et narration. Le résultat en est troublant, souvent déstabilisant mais d’une intelligence artistique redoutable.

Lumière sur les laissés-pour-compte
Le son quant à lui semble délibérément froid permettant la prise de recul nécessaire que l’humain ne sait pas bien faire face à la misère. Loin de la chaleur de l’analogique il laisse l’auditeur derrière un miroir sans tain, très exactement comme le public qui a pu assister aux sessions d’enregistrement de cet album (performance artistique baptisée Recording In Progress). C’est d’ailleurs le reproche le plus fréquent fait à « The Hope Six Demolition Project », cette distance mise entre la musique et son auditeur. Et quelques grognements se sont fait entendre encore plus fort. À commencer par le mécontentement de Vince Gray, ancien maire de Washington qui traite les textes de l’Anglaise d’inepties. Il faut avouer que l’album qui porte le nom d’un programme de destruction de HLM lancé dans les années 1990 ne concède pas un regard tendre sur les rues remplies de laissés-pour-compte, les institutions absentes ou le mercantilisme roi. La poésie de Harvey est jugée de clichés simplistes par certains acteurs politiques ou sociaux. Mais c’est sans compter que l’égérie du rock a fait le même travail que son compagnon de route Seamus Murphy : elle a pris des photographies des paysages traversés. Sauf que les siennes sont sonores.
Il faut être amateur d’art pour comprendre les peintures poétiques. Surtout quand elles sont d’une beauté complexe.

Marjorie Risacher

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PJ Harvey – The Community Of Hope

Crédit Photo : © Maria Mochnac

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