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Producteur, réalisateur, compositeur et musicien, Marc Collin est un homme aux mille facettes. Surtout connu pour être le co-fondateur, avec Olivier Libaux de Nouvelle Vague, il est également à l’origine d’un sacré paquet d’albums, multipliant les interprètes et les genres. Rien que pour l’année 2015 il a sorti « Bristol »en janvier (réinterprétant à travers les voix de Jim Bauer, Dawn, Clara Luciani et quelques autres, les grands tubes trip-hop des années 1990) et s’apprête à révéler l’EP d’un nouveau projet : The Living Gods of Haiti. Trois titres plus un remix du groupe Breton en compagnie de la chanteuse anglaise Rebekah et d’une ambiance à la Dead Can Dance, mêlant le tribal à un versant spirituel. Une bonne occasion pour rencontrer ce grand garçon aux allures décontractées, au sourire sincère et à la parole franche qui nous accueille chaleureusement dans son studio à Paris.
Avez-vous déjà compté le nombre de projets sur lesquels vous avez travaillé ?
Non, mais il y en a beaucoup ! D’ailleurs si j’avais vraiment eu une stratégie de réussite je me consacrerais à un projet qui a marché et je ne ferai que ça. Mais je n’y arrive pas, je m’ennuie tout de suite. C’est uniquement parce que Nouvelle Vague a fonctionné qu’on a fait un deuxième album. C’est d’ailleurs le premier projet pour lequel j’ai fait un deuxième volet.
Est-ce que les chanteurs/ses viennent vous voir avec une idée de ce qu’ils aimeraient, ou c’est vous qui avez les envies de départ ?
L’idée germe chez moi, c’est vraiment ce que j’appelle des visions de producteur. Souvent on vient me voir pour ça. Cela pourrait se résumer à « Voilà, j’ai du talent, je sais chanter et je sais composer mais je ne sais pas quoi faire ». Et moi ça m’amuse de réfléchir où les personnes doivent aller avec le potentiel qu’elles ont, de penser à la fois à quelque chose d’inattendu, de surprenant et dans l’air du temps. Et souvent les artistes me suivent.
C’est ce qui s’est passé avec Rebekah, la chanteuse de The Living Gods of Haiti ?
C’est une chanteuse qui, depuis dix ans en Angleterre, a essayé de faire de la pop. Elle s’est donc toujours située sur la même ligne de départ de beaucoup d’artistes. Et malgré son talent, cela ne fonctionnait pas. C’est très difficile d’arriver à percer dans un truc qui existe déjà mille fois. En discutant avec elle je me suis rendu compte que son père était Syrien. Cela m’a tout de suite fait tilter sur le groupe Dead Can Dance dont je trouve l’histoire passionnante et qui n’a pas vraiment de descendance musicale. Je me suis dit que ce serait intéressant de mixer tout ça. En fait je joue beaucoup avec les références culturelles, je fais des liens là où on n’a pas encore pensé en tisser. Pour beaucoup de personnes, Dead Can Dance est un groupe à part avec une chanteuse un peu bizarre. Leurs influences sont plongées dans le médiéval et le Moyen Âge. Et finalement le Moyen Âge européen est très proche musicalement de l’oriental. Il y a beaucoup de darboukas ou d’instruments de ce type, beaucoup de quart de tons. On peut faire un vrai rapprochement avec la musique syrienne et de la musique sacrée. J’ai donc fait un raccourci et ai fait le lien entre Dead Can Dance et le côté moitié syrien de Rebekah.
Le projet porte un nom particulier puisque c’est le titre d’un documentaire de Maya Deren (1917-1961, réalisatrice de films expérimentaux) sur les rites vaudous en Haïti. C’était pour les mêmes raisons, rajouter du tribal au sacré ?
Complètement. Il y avait la volonté de m’éclater avec quelque chose que je n’avais encore jamais fait, mais aussi celle de jouer avec les références. Au lieu de trouver un nom accrocheur et court, je me suis dit qu’avoir un nom très long était plus intéressant. Au début je me suis même inspiré des titres de Dead Can Dance qui sont souvent un peu pompeux. Et finalement je suis tombée sur Maya Deren et son travail : cela collait parfaitement. Et comme très peu de gens la connaissent, j’aime l’idée de susciter une réaction de type « Mais qu’est-ce que c’est que ce groupe ? »
Des trois titres mis sur l’EP c’est finalement Father, le dernier, qui correspond le mieux à ce que vous racontez, là où vous êtes allé le plus loin…
En fait, le premier titre The Hunt, The Harvest, The Sex, je l’avais fait pour autre chose. Et c’est lui qui a déclenché tout ce que je viens d’expliquer, le projet de lier un côté Dead Can Dance à Rebekah que je connaissais depuis longtemps et avec qui j’avais envie de travailler. C’est uniquement là que j’ai commencé à creuser le sillon, et Father a été fait après. Mais il y en a d’autres, un album suivra très certainement.
On imagine quelqu’un comme vous éternellement enfermé dans son studio, la tête baissée sur les machines, avec un côté très geek. Vous ressemblez à ça ?
Pas du tout. Je pense que je devais être comme ça au tout début, c’était l’époque des premiers samplers. Je passais un temps fou avec mon Atari à faire des bidouilles. Et c’était beau puisqu’à ce moment on travaillait alors que personne ne le demandait. Maintenant, quand je bosse sur un disque, je sais que je peux le sortir, il y a une finalité. Au début, ce n’était pas le cas et cela conférait une sorte de liberté : il y avait très peu de chances de sortir un album alors autant y aller. Aujourd’hui, finalement je travaille peu ! C’est étonnant parce que je fais beaucoup de choses, donc les gens pensent que je passe mon temps enfermé ici. Mais après plus de deux décennies d’expérience, je suis extrêmement efficace. Je sais tout de suite si c’est bien ou non. Et puis je n’ai pas d’excuse, j’ai le matériel qu’il faut. Je ne peux pas me dire « Ah si j’avais un Jupiter 8 ce serait beaucoup mieux » :je l’ai. Et puis je suis sur Cubase depuis pratiquement 20 ans, pas sur Protools comme la plupart des gens maintenant. Du coup je le maîtrise depuis tellement longtemps que je vais très vite.
Vous qui avez la peur de l’ennui, est-ce que vous n’êtes pas aussi sujet à la crainte de vous répéter ? Surtout à force de faire une multitude de projets, très rapidement ?
Pourquoi je fais autant de choses et aussi vite ? Voilà mon secret : c’est que ce n’est pas ça que je veux faire réellement. Moi, j’ai toujours voulu réaliser des films. Du coup je n’ai pas de pression par rapport à la musique. Je vois des potes qui mettent des années à faire une chanson, qui ne finissent jamais, qui se demandent toujours si c’est bien ou non. Je n’ai pas ce souci. Une chanson, c’est l’instant du moment, je ferai de toutes les façons un autre projet l’année suivante. Je n’ai pas la pression d’être jugé et si on me tombe dessus en me disant que c’est nul, cela ne change pas profondément mon humeur. Je n’ai pas la peur de me répéter parce que je n’ai pas celle de changer. Le succès inattendu de Nouvelle Vague, par exemple, était dû à un son qu’on avait trouvé. Et dès le deuxième album j’ai voulu en changer. Une fois que je sais faire quelque chose, cela ne m’intéresse plus beaucoup. De fait, ce processus évite la répétition.
Propos recueillis par Marjorie Risacher
À écouter en exclusivité sur RIFFX : l’EP de The Living Gods of Haiti :
Crédit Photo : © RBTN
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