Villagers « Voyage en Irlande »

Villagers est en fait singulier. D’abord parce que sous ce pseudonyme qui aimerait bien se faire passer pour un groupe, se cache surtout un seul homme : Conor J. O’Brien. Ensuite parce que de tous les talents de haut niveau que ces dernières années ont su produire, il se détache du lot pour se diriger d’un pas timide vers le génie humble et effacé. Son second album « {Awayland} » est l’une des merveilles à découvrir en ce début d’année.

O’Brien a une bouille juvénile et on lui donnerait au premier coup d’œil même pas vingt ans. Mais l’oreille ne se trompe pas et il lui faut évidemment ses vingt-neuf printemps pour avoir cette intensité-là. Originaire de Donegal au Nord de l’Irlande, détenteur d’un diplôme en littérature anglaise de l’université de Dublin, passionné de poésie américaine post-moderne, multi-instrumentiste et déjà fort d’un joli parcours musical, il est sans aucun doute l’un des plus beaux artistes que la terre d’Oscar Wilde et Samuel Beckett possède en ce moment.

Après un premier groupe dissous au bout de deux ans (The Immediate), O’Brien propose son premier album sous le nom de Villagers en 2010. « Becoming A Jackal » déchaîne d’emblée les passions et le jeune homme se voit même remettre le prestigieux prix Ivor Novello Awards de la meilleure chanson, musique et textes. Une collaboration avec Charlotte Gainsbourg et une période de sécheresse artistique plus loin, le voilà repointant le bout d’une galette avec le non moins merveilleux « {Awayland} ».

Après la page blanche

Ce second album de terre lointaine avec des frontières sous forme de crochets, repousse pourtant les limites de la folk gracieuse et surdouée que Villagers avait offert auparavant. Ces nouveaux apports ont d’ailleurs sûrement été les déclencheurs pour se sortir du syndrome effrayant de la page blanche que Conor a subi et dont il s’est confié ici et là. Toujours est-il que des textures sont apparues : plus de piano, des touches synthétiques, des brins d’électro-pop, des distorsions, des arrangements plus chargés… Le son toujours sensible semble aujourd’hui plus lumineux et moins introspectif. Passé le premier titre, bijou d’une nudité et d’une pureté quasi parfaites, « {Awayland} » nous entraîne vers des complexités plus denses et pourtant évidentes. Aucune montagne à gravir, aucun fleuve à traverser, la route nous mène sans effort dans des paysages bruts ou tendres selon, sur une mécanique sans failles.

L’incroyable voix d’O’Brien

Mais hormis une composition de haute volée qui a su non seulement s’enrichir mais aussi prendre des risques, hormis également une écriture poétique qui pourrait donner des leçons aux planètes du rock, folk et pop réunies, le plus remarquable dans Villagers reste la voix de O’Brien. D’une capacité étonnante elle a surtout la beauté des grandes interprétations. Elle raconte et transmet au travers d’une brisure ou d’une variation délicate, a une manière particulière d’investir les mots, est d’une élocution remarquable pouvant se permettre tous les personnages hasardeux et bégayants, rêveurs ou blessés sans jamais geindre ou être brouillone. C’est d’une limpidité à toute épreuve et l’oreille se trouve prisonnière en y entrainant le cœur.

Qu’il soit dans le dénuement le plus total ou dans un lyrisme plus pompeux, Conor O’Brien est toujours d’une justesse précise dans ce « {Awayland} » qui n’a pas fini de tourner sur nos platines. Magnifique guitariste, extraordinaire chanteur, songwritter doué, il n’y a pas de doutes. Un jour ce jeune homme-là écrira un chef d’œuvre. Et il n’en est plus vraiment loin.

Marjorie Risacher