Arcade Fire. La musique des dieux de l’Olympe

Arcade Fire fait vibrer le rock indépendant et ses fans avec un quatrième album très attendu Reflektor. Et le groupe canadien sait y faire, musicalement certes, mais également en terme de communication. Depuis début septembre le web s’enflamme, s’arrachant les extraits disséminés avec un art sans pareil.

C’est tout d’abord le premier single, titre générique de ce nouveau disque qui avait fait son apparition le 9 septembre, collectionnant les millions de vues en très peu de temps. Chanson de dance floor, elle levait un partie du mystère en confirmant les rumeurs : la formation canadienne faisait un virage inattendu. Une nouvelle influence apportée par la production de Markus Dravs et surtout James Murphy, leader du mythique LCD Soundsystem, a visiblement pris le volant pour les diriger dans un monde où la dance et les touches disco valsent allègrement avec les couches de claviers et les rythmiques puissantes. D’une redoutable efficacité ce Reflektor se découvrait en sept minutes quarante-deux affolantes, mêlant anglais et français, offrant en prime David Bowie pour les chœurs. Pour couronner le tout, sortaient simultanément deux clips : celui dit « officiel » et un autre interactif pour tout internaute muni d’une webcam, jouant sur un jeu d’images dans un effet miroir (réalisation de Vincent Morisset).

Une sortie bien pensée

Un mois après, nouveau coup de buzz. Sur un court-métrage de vingt minutes, réalisé par Roman Coppola (fils de Francis Ford), le groupe propose trois nouveaux titres filmés lors d’un concert aux places très limitées et difficile à obtenir. Le succès, là aussi, est immédiat, d’autant plus que certains figurants se font très vite reconnaître en les personnes de Ben Stiller, Bono, Michael Cera ou Zach Galifianakis. Mêlant la dérision, le sourire, les déguisements et une ambiance de boîte de nuit clandestine et étrange, les Canadiens proposent cette fois des morceaux tout aussi dansants que le premier Reflektor mais avec un petit air de Haïti (d’où est originaire leur chanteuse Régine Chassagne) qui sème le doute.

Énigmes…

Et enfin, dernier coup de poing à faire trembler les réseaux sociaux, une semaine avant la sortie de l’album, un deuxième single pointe brusquement son nez : Afterlife. Cette fois le clip est constitué uniquement d’extraits de Orfeu Negro le film de Marcel Camus, palme d’or à Cannes en 1959. Et les cerveaux vont bon train en songeant que deux autres morceaux de ce nouveau disque font référence au mythe d’Orphée et d’Eurydice (dont s’est inspiré Camus) et que la pochette représente une sculpture de Rodin de ces mêmes deux êtres de la mythologie. D’aucun se demandent s’il faut y trouver un thème général à l’album pendant que d’autres cherchent un lien entre les collaborateurs et les guests.

… et réflexion

Mais, comme d’habitude avec Arcade Fire, c’est peine perdue. Les réponses arriveront bien plus tard, après digestion et usure du disque. La formation est, une fois de plus, bourrée de références et ouverte à la culture au sens large du terme. Il faut pour rentrer dans Reflektor beaucoup de temps et plusieurs écoutes.

Il s’agit en réalité d’un double album proposant un disque 1 calibré pour les pistes de danse, flirtant avec les principes musicaux et les sons des années 1980, étouffant le rock dans une pop lumineuse pour mieux le faire ressortir par vagues inattendues, en passant par le funk et le disco. Le disque 2 quant à lui, est d’un tout autre ton, plus apaisé et intérieur, mais certainement pas moins électro. Les Canadiens nous secouent dans ces deux faces en faisant éclater les formats (les plages faisant rarement moins de cinq minutes) et les attentes logiques.

Après les chemins de traverses voici donc l’heure de l’autoroute, et ça va vite, fort, loin. L’ensemble paraît parfois étrange, inconfortable, mais jamais hasardeux. Les voix de Win Butler et de sa compagne Régine Chassagne (plus absente pourtant cette fois) s’entremêlent, se voilent, se noient, se couvrent d’effets et se mixent à l’intérieur de la musique. Les basses très présentes, les rythmiques venues d’ailleurs, les riffs imparables et un côté un peu sale sentant la cave de bas fonds. Dans les constructions rien ne les arrête : les ruptures, les cassures, les mélanges, les titres différents en un seul… tout est permis.

Reflektor est déboussolant et une fois de plus avec ces révolutionnaires de la scène indépendante, on ne sait jamais trop quoi en penser dans un premier temps. Mais au bout du compte il n’y a guère que la plage cachée, inutile logorrhée de sons et d’ambiances, que l’on effacerait totalement. Et dans ce jeu de miroirs et de culture, de sons et de tempos, il est à parier que dans trois ans, on aura encore de quoi penser et écouter.

Parce que Reflektor est cérébral, dense, complexe et évident à la fois. Totalement Arcade Fire.

Marjorie Risacher

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