Passi : Ère Afrique

L’ex Ministère Amer Passi est le pionnier de la fusion rap et musique africaine avec son projet Bisso Na Bisso (1998). De retour avec ce nouvel album ensoleillé, le Sarcellois n’oublie pas pour autant les dures réalités des jeunesses africaines. Entourés de légendes de la musique africaine et des musiciens de la nouvelle garde, entre légèreté assumée et mise en avant de la « jeunesse consciente », Passi se livre ici. Afrique, rap bling-bling et démocratie au menu. Rencontre avec un rappeur cultivé, grand amateur d’histoire et doté d’un humour pince sans rire pour mieux faire passer ses messages.

Comment est née cette volonté de marier rap et musique africaine ?

Quand on a commencé avec Ministère Amer (NDR : avec Doc Gynéco et Stomy Bugsy), on rappait sur les instrumentaux américains. Puis on a commencé à produire notre son car on voulait qu’il soit différent du son US pour avoir l’identité d’un rap français. On a donc développé notre côté francilien puis notre culture africaine. Un grand nombre de jeunes artistes reviennent au pays tous les étés et sont imprégnés du son du bled à leur retour de vacances. Nous sommes Français d’origine africaine : notre rap devait nous ressembler !

Quelles sont les différences entre le rap africain et rap français ?

Ils sont plus engagés en Afrique. En France, on peut prendre le micro et interpeller le Président ou se plaindre sur une radio nationale qu’il ne se passe rien dans son quartier. On l’oublie souvent en France. En Afrique on ne peut pas trop la ramener ! Les problèmes sont d’une autre gravité. À Dakar, il y a plus de 5 000 groupes de rap par exemple. Musicalement, il existe une plus grande diversité qu’ici.

Qu’a changé Internet en termes de création et de diffusion pour vous et pour l’Afrique?

Pour moi, en tant que producteur, avec la baisse des ventes d’albums j’ai moins d’argent à investir dans la production : au lieu d’aller à New York on enregistre ici. Pour la diffusion cela a permis à des milliers de jeunes rappeurs de se faire connaître. En Afrique, Internet est la porte ouverte vers le monde : chaque discours politique tendancieux envers le continent est immédiatement relayé. Le réseau a permis à la « jeunesse consciente » africaine de se politiser un peu plus. On l’a vu avec le Printemps arabe. Cela dit, en France on a une large palette de rap : les lovers, les gueulards, les revanchards, les intellos, etc.

On retrouve cette diversité sur « Ère Afrique » ?

J’ai découpé l’album en trois parties : une partie dansante, une très « lover » et une dernière plus consciente.

Fait-on mieux passer des messages avec le sourire ?

La démocratie c’est ça : faire des braquages avec le sourire ! Aujourd’hui, je dis aux jeunes qu’on ne peut pas venir avec une casquette, un gun et braquer les gens! Regardez les huissiers de justice, ils viennent chez vous, ils vous dépouillent mais en costard cravate et avec le sourire ! La société est plus fine aujourd’hui, même si c’est le même braquage pour moi. L’Afrique doit passer à ce stade de démocratie : être bien habillé, avoir le sourire, se pointer et emporter le magot !

Ère Afrique est-il un album français, franco-africain ou francophone ?

Il y a aussi de l’espagnol, de l’anglais, de l’arabe littéraire, du lingala : c’est donc pour moi un album international. Je l’ai appelé « Ère Afrique » car c’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour ce continent. Je prends souvent l’exemple de l’Angola : un deux pièces là-bas c’est 7 000 euros par mois. Une petite maison de deux pièces, c’est 25 000 euros ! C’est un pays en pleine expansion, qui ne regarde même plus vers l’Afrique ou l’Europe (à part le Portugal) mais plutôt vers le Brésil ou les États-Unis. La case de Tarzan c’est fini ! La France est en train de louper cette évolution et finira par le payer tôt ou tard. C’est dommage !

Propos recueillis par Willy Richert