Canaille : La musique plus haute que le fric !

Loin des clichés, la Canaille s’est imposé depuis 2006 comme l’une des plumes les plus engagée de la sphère rap. Son troisième album, La nausée, enfonce le clou. Marc Nammour, d’origine libanaise, aborde des thèmes rarement évoqués dans le hip-hop : la lutte des classes, l’addiction aux sites pornos ou encore la situation des sans-abris. Un album coup de poing plein de panache. Rencontre avec un rappeur posé mais pas apaisé.

La Nausée a t-il été écrit dans l’urgence ?

Non, à part le titre Jamais nationale que j’ai écrit en réaction aux résultats des élections européennes et la montée du Front National. Même si ce n’était pas facile, je voulais absolument aborder cette thématique. Je ne suis pas dans une logique de rendement et j’ai pris mon temps depuis mon dernier album en 2011. Et puis j’ai écrit un « opérap » à Sochaux pour parler du monde ouvrier. Cela m’a pris un an car j’ai animé là-bas des ateliers d’écriture. J’ai en plus travaillé avec Serge Teyssot-Gay (ex-guitariste de Noir Désir) sur différents projets.

La Nausée est un album autoproduit. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Nous sommes notre propre maison de disque. Nous gérons tout de A à Z. Nous finançons tout : l’enregistrement, le mastering, la promotion, etc. Je suis rentré dans le monde de la musique en ayant cette volonté du do it yourself (« fais le toi-même »). L’avantage est d’avoir une liberté artistique totale mais, du coup, on travaille avec peu de moyens tout en rivalisant avec les dinosaures du show-business. C’est la guerre mais j’ai la fierté de faire ce que je veux. Sans compromis.

C’est pour cela que vous pouvez aborder des thèmes jamais évoqués dans le rap grand public, comme le monde ouvrier par exemple…

Étonnamment oui, alors qu’un grand nombre de rappeurs sont des fils d’ouvriers ! Depuis mon premier album (« Une Goutte de miel dans un litre de plomb », 2009) et le titre L’Usine, j’ai toujours évoqué ce monde-là. Quand je parle du monde ouvrier, j’englobe la caissière, l’intermittent du spectacle, le stagiaire… Bref tous les précaires. Le rap, comme la société, s’est dépolitisé. Au départ il était un mouvement contestataire alors qu’aujourd’hui il s’apparente plus à de la variété où il faut être consensuel et plaire au plus grand nombre. On a oublié que le rap était la voix des sans-voix !

Il existe encore une scène rap proche de ces idéaux originels, non ?

Bien sûr ! Cette scène a toujours été présente mais on l’entend moins : je pense à MAP (Ministre des Affaires populaires), Rocé, La Rumeur ou Casey. Aujourd’hui, il est plus difficile de vendre du fond que de la forme. J’arrive à avoir de la visibilité car cela fait dix ans que j’y travaille. Humblement ma carrière se construit pierre par pierre, je n’ai pas eu de passe-droit. C’est la scène qui m’a construit et du coup j’ai un fan base solide !

Pour revenir aux thèmes de cet album, le titre Pornoland va à contre-courant de la majorité des clips de rap actuels qui mettent beaucoup en scène de filles dénudées…

Tout ça c’est uniquement pour avoir du buzz et des clics. Aujourd’hui, pour les jeunes, le porno est à portée de clip, et la marchandisation des femmes sert à vendre des frigos, des voitures… C’est assez dangereux pour l’image de la femme dans nos sociétés. Anaconda, le dernier clip de Nicki Minaj a été le plus vu de l’histoire. Ça me dérange énormément. On ferait mieux de se battre pour une égalité des salaires entre hommes et femmes. Utiliser la femme comme un moyen de vendre tout et n’importe quoi me révolte, c’est hypocrite !

Vous serez en concert le 13 novembre au Café de la Danse, à Paris, que va t-il se passer ?

C’est une date importante pour nous car tous les invités de l’album seront présents : DJ Pone (Birdy Nam Nam), Serge Teyssot-Gay bien sûr, mais aussi le rappeur Mike Ladd. C’est l’occasion pour ceux qui ne nous connaissent pas de découvrir notre famille musicale. Ce sera un grand moment !

Propos recueillis par Willy Richert

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