Dans la lumière de Françoiz

Françoiz Breut c’est une pluie de soie, une rosée claire, une fée de la musique. Depuis quinze ans et cinq albums maintenant, elle vient nous purifier les oreilles de sa voix cristalline et de ses chansons qui entrent loin dans notre intime. Confidentielle mais nécessaire, elle a inspiré des grands noms puis s’en est affranchi. Exit les Calexico, Dominique A, Katerine, Minière et autres. Aujourd’hui Françoiz sort pour la seconde fois un disque avec ses propres textes, ses propres envies, son propre chemin. Cette française exilée à Bruxelles nous tend « La chirurgie des sentiments » comme d’autres nous tendent les bras. Et on s’y engouffre avec un plaisir délicat.

Rencontre avec une belle femme, une belle chanteuse, une belle personne.

C’est la deuxième fois que vous écrivez les textes. Vous aviez dit, lors de la sortie de l’album précédent, « À l’aveuglette », que ce n’était pas simple, que vous n’étiez pas sûre de vous. Cela a été plus facile cette fois ?

La première fois c’était long, dur, laborieux. Puis ce n’est pas comme si j’écrivais de manière régulière un peu chaque jour. Il faudrait peut-être que je le fasse pour avoir une aisance. Mais je ne le fais pas. Après la sortie du disque, la vie continue : on fait des concerts, je fais mon travail d’illustratrice, je n’écris plus du tout. Donc forcément le moment venu je me suis dit « mais comment cette fois-ci je vais encore réussir à pondre des textes ? » Alors j’ai commencé à jeter quelques idées sur le papier qui ont grossi au fil des jours. Mais en aucun cas je me mets devant ma feuille en me disant : « Je vais écrire. » Je fais une phrase un jour parce qu’elle me vient, plus tard une autre la rejoint, ça vient petit à petit, sans arrêt, c’est un aller-retour incessant. Parfois des choses arrivent plus facilement mais cela reste laborieux. En même temps j’aime vraiment bien ce travail là, j’y ai pris goût.

Vous ne savez donc même pas quels thèmes vous allez aborder au départ?

Non. Ce sont vraiment des idées que je creuse. J’avance dans le flou et c’est ça que j’aime bien. Les mots appellent les mots et parfois ça crée une histoire à laquelle je n’avais pas forcément pensé. Après il arrive aussi d’avoir une idée de départ, comme pour L’Ennemi invisible qui parle du nucléaire. J’avais vraiment envie de parler de ça. Je ne sais pas du tout pourquoi d’ailleurs, c’était avant la catastrophe de Fukushima. J’étais déjà touchée par le sujet parce que mon père travaillait dans les sous-marins nucléaires, on nous en parlait sans arrêt parce qu’en plus on habitait à côté d’une centrale de traitement des déchets. Je voulais donc réussir à en parler mais de manière plus poétique. C’est un sujet tellement délicat et grave que c’est difficile. Du coup, c’est une drôle de chansons parce qu’on n’arrive pas à savoir vraiment ce que je veux dire. C’est devenu une chanson jolie alors que ça ne devrait pas l’être. Il s’est passé quelque chose que je n’ai pas contrôlé.

Dans l’ensemble ce cinquième album semble plus lumineux que les précédents…

En effet, ça n’a pas été tout à fait conscient mais c’est vrai. Pourtant on me dit encore que c’est un album pas très optimiste. Et en même temps je trouve aussi qu’il y a beaucoup de choses positives. Par exemple il y a des déclarations d’amour alors qu’avant il y avait beaucoup d’histoires de ruptures, de séparations. J’en ai d’ailleurs un peu fait le tour, j’en avais marre. Si la chanson est belle, je continue de chanter ce genre de sujet mais je n’ai plus vraiment envie de ça. Et c’est vrai que j’ai essayé de prendre les choses de manière plus légère. C’est ce que la vie m’a appris aussi, que tout n’est pas noir, qu’il faut de la patience, qu’il faut regarder les belles choses. Je me suis dit que si je veux continuer à chanter il ne faut plus que je le fasse avec des choses noires.

Comment s’est passé la composition ? C’est avec le guitariste Stéphane Daubersy que vous avez trouvé les lignes mélodiques à ces textes ?

On a travaillé de manière peu conventionnelle. J’avais toute une série de 45 tours que j’utilisais en concert pour faire des interludes : ça pouvait être des bruitages, des choses un peu désuètes, des cours de code de la route, des trucs que j’avais glanés à droite et à gauche. On a pris de petits extraits, on a beaucoup travaillé par samples et, à partir de ces courts morceaux, on a trouvé des rythmes. J’avais aussi enregistré avec mon dictaphone des bouts de mélodies quand elles me venaient au quotidien. Par exemple dans ma cuisine je fredonnais quelque chose spontanément, hop je l’enregistrais tout de suite. Je faisais écouter ça à Stéphane et il rejouait ce qu’il en entendait à la guitare, puis moi je retrouvais une mélodie qui allait parfois ailleurs. C’était vraiment super ludique. On avait de la matière musicale à foison et on s’est vraiment amusé. Une fois qu’on a eu nos quinze morceaux, on a appelé Nicolas Loureau pour la réalisation. On lui a dit que c’était des démos, qu’il fallait sûrement ré-enregistrer beaucoup de choses. Mais lui nous a dit de surtout garder cette matière car ce côté bricolé et scotché était intéressant. On a refait les voix évidemment, mais la matière était déjà bien là.

Il figure une reprise étonnante sur ce disque : Werewolf de Michael Hurley qui est très peu connu en France ou en Belgique…

Il y a longtemps je suis tombée sur ce morceau de Hurley sur Internet. J’en ai parlé avec un Américain qui m’a alors dit que ce « folkeux » de Portland avait vraiment fait une belle carrière aux États-Unis. Et comme j’ai eu un coup de cœur pour ce morceau je l’ai beaucoup joué. C’est seulement après que j’ai vu que pas mal de monde avait déjà repris ce titre, dont Cat Power et Violent Femmes. Mais je me suis dit que tant pis, j’allais le mettre sur le disque. Puis j’aime bien chanter en anglais aussi. Ça me faisait doublement plaisir.

Propos recueillis par Marjorie Risacher

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