Greenshape

Greenshape. « La vie est un sport de combat »

C’est un être sensible qui ne joue pas les embrassades et les fausses chaleurs du métier quand il vous rencontre. Un de ces mecs qui en a déjà beaucoup appris de la vie : enfance et adolescence dans le Nord, milieu prolétaire, père en prison, petits boulots qui s’enchaînent, boxe et musique pour passion, études de philosophie et d’arts plastiques… un destin en grand huit qui lui conserve la tête froide et la réflexion solide.

Son premier album de folk-pop « Storyteller » est une ouate délicate aux accents bien plus mûrs que ne devrait lui conférer sa petite trentaine. Son interprétation assise et ses arrangements peaufinés étonnent. Il n’y a pas de doute, Régis alias Greenshape, commence sa carrière en étant déjà grand.

Le pseudonyme que vous vous êtes choisi (Greenshape, forme verte en français) vous désigne presque comme une entité venant d’ailleurs, il y a un petit côté OVNI…

Il y avait une volonté de créer un flou, de ne pas avoir une entité identifiable. J’avais envie d’un nom qui pourrait très bien être celui d’un groupe de rock, d’une formation de bal ou d’une marque de tracteur. Et il y a aussi un côté super héros qui me faisait marrer, ou même d’anti-héros. C’est vrai qu’on peut y voir un petit côté OVNI.

Pourtant ovni, vous ne l’êtes pas vraiment musicalement. Il y figure cette notion de douceur et d’intimité.

J’ai toujours été fasciné par les choses très moelleuses, très mélancolique. J’aime le contemplatif et les envolées sauvages. J’essaie de faire la musique de manière la plus instinctive possible, ce n’est pas dans l’intellect. Mais l’instinct est étrange, parce que c’est toujours de la culture digérée passée dans le domaine de l’inconscient. J’ai fait des études de philosophie, d’arts plastiques et j’ai tiré pas mal de leçons humaines dans mon parcours, alors on apprend à cultiver son regard. Mais il y a aussi un petit côté artisanal là-dedans.

On sent aussi une vraie écriture « cinématographique » de la musique…

J’écris énormément après avoir regardé des films. Je me rends d’ailleurs compte que je mate plus de films que je n’écoute de musique. La musique me parle quand elle m’évoque des images et des séquences. Beaucoup de mes chansons sont des paraboles ou des espèces de jeux avec le verbe. Mais dans les ambiances il y a souvent quelque chose de fantomatique qui se réfère plus ou moins consciemment aux plaines arides américaines. Parce que c’est ma culture : j’ai baigné dans les films de Clint Eastwood et de John Wayne avec mon grand-père. En fait j’ai toujours été en contact à la fois avec des cow-boys et des mélomanes.

Votre album s’intitule « Storyteller » (le conteur). Le narratif est important pour vous ?

Oui bien sûr. On s’inspire d’ailleurs toujours un peu de ce qu’on vit. À partir du moment où il y a une volonté de création, il me paraît difficile d’aller chercher ailleurs qu’en soi les choses. En revanche je ne crois pas vraiment à la valeur cathartique de la musique. Sinon on arrêterait de faire les mêmes erreurs, or on est tous très doué pour répéter les mêmes schémas. Je pense que la création c’est se confronter aux choses, pas les régler. Régler ses problèmes tout en restant assis sur une chaise, une clope au bec et une guitare à la main, je n’y crois pas trop. En fait je pense même qu’écrire des chansons est une démarche complètement égoïste. Rien que concrètement : il faut rester isolé plusieurs heures, voire des jours. C’est au moment où ces chansons-là commencent à fonctionner qu’on en devient esclave. C’est comme un enfant que l’on met sur un vélo, il faut qu’il apprenne, qu’il ait sa propre identité. L’art en général pose cette question : La Joconde appartient à Léonard de Vinci ou à tout le monde ? Se poser devant un film, un tableau ou une chanson, c’est créer sa propre toile de fond, ses propres illusions, ses propres interprétations d’une histoire donnée. C’est ce que j’aime bien aussi dans le fait de raconter des histoires qui restent paraboliques : ça n’enferme pas les choses dans un champ. C’est juste donner un sentiment, souvent universel, et qui finalement évoque à chacun des souvenirs, des états d’âmes.

Votre image est polymorphe. Sur vos photos, vous pouvez être totalement différent. Parfois c’est le « bad boy » qui est là, parfois c’est l’intello. Parfois un jeune homme, parfois un homme bien plus mûr.

Oui il y a peut-être une crise identitaire là-dedans. Qu’est-ce que je suis ? Où vais-je ? Le titre Storyteller raconte quelqu’un qui se regarde dans la glace et qui se demande ce qu’il est en train de devenir. Je ne dis pas « moi » parce que finalement c’est « quelqu’un ». Je suis juste la cause de la chanson. Pas la conséquence. On est tous entre plusieurs âges et c’est ce qui me plait aussi. J’aime avoir plusieurs bagages, avoir fait de la boxe, avoir été éboueur, avoir monté des boîtes de vitesse à l’usine, avoir fait de la philosophie, de la musique, aidé des gens, blessé d’autres… C’est difficile d’avoir une véritable identité parce que ça veut dire s’enfermer dans des choses et s’empêcher d’en faire d’autres. Finalement je préfère être un peu angoissé et dans la remise en question, mais je veux être sûr de moi quand je fais des concerts.

Est-ce que du coup votre musique vous ressemble ou ce n’est qu’une facette de vous ?
Elle me ressemble totalement. Il faut arriver à différencier la musique de l’individu. Par exemple dans la vie j’aime bien rigoler, j’aime les blagues potaches, je suis gai… et il y a des moments où je peux être très sombre et grave. Je ne suis pourtant pas schizophrène. J’étais fou amoureux d’une personne qui ne comprenait pas ça justement. J’essaie juste de m’adapter à chaque situation et aux gens, je ne pense pas que cela soit mentir à soi-même que de le faire.

Donc vous êtes également comme vos arrangements : classieux, plein de cordes, soigné ?

J’ai envie de ça. J’ai envie de faire de belles choses, de mettre la couche de vernis sur le tableau. J’en ai même besoin peut-être. En fait je ne me sens pas plein de contradiction. Je me sens riche.

Aujourd’hui vous vivez le bonheur de tout musicien, celui d’avoir pu sortir un album. Quel regard portez-vous là-dessus avec vos écorchures et vos richesses ?

J’ai fait beaucoup de petits boulots et j’ai longtemps vécu comme un clodo, du coup je profite vraiment des choses. J’ai à manger, un toit, une guitare et je peux aller boire des bières avec mes copains quand j’en ai envie. J’ai été élevé par mes grands-parents qui étaient des prolos très simples. Lui était mineur, elle était épicière. On a trop tendance à oublier que les meilleurs moments c’est quand on mange un camembert au barbecue avec un bon Côtes-du-Rhône. Ce sont nos meilleurs souvenirs, et on est toujours là à se demander ce qui va nous arriver. Le fait de faire ce métier me permet de ne pas regarder au-delà de moi. C’est être dans une voiture de sport à 150km/h en jetant de temps en temps des coups d’œil dans le rétro. Et, malgré mes questions, j’essaie de profiter un maximum. De vivre, tout simplement.

Marjorie Risacher


Greenshape Feelbetterpar RIFFX_fr

Sexion d’assaut

Sexion d’assaut