Invité RIFFX : Gérard Pont à l’initiative de Y’a des Francos dans l’air

RENCONTRE – Du 10 au 14 juillet 2020, les Francofolies laissent place à l’alternative « Y’a des Francos dans l’air » dans les rues de La Rochelle. Homme de télévision et figure incontournable de la scène live française, Gérard Pont déroule son CV atypique avant de raconter comment il a fait face à la crise sanitaire ces derniers mois. Une interview passionnante à découvrir sur RIFFX.fr.

Bonjour Gérard Pont, vous avez un parcours professionnel assez incroyable. On tente de le résumer en quelques lignes ?

A l’issue de mes études en école de commerce, après mon diplôme, je suis devenu directeur de librairie. Parallèlement, j’organisais des concerts d’artistes français, surtout locaux, à Brest. Ils passaient déjà à Rennes ou à Nantes, mais je voulais voir des artistes comme Lavilliers ou Thiéfaine dans ma ville. J’avais 21 ans à l’époque. Petit à petit j’ai eu envie d’organiser mon premier festival, ce que j’ai fait en 1979 avec Elixir. Je voulais voir jouer des artistes de la scène anglo-saxonne qui ne venaient pas en Bretagne. C’était dix ans après l’île de Wight et Woodstock, c’était donc un festival un peu baba cool. Le festival s’est développé, on a fait venir en Bretagne les Clash, les Cure, Depeche Mode, les Stranglers, America… Bref, une flopée d’artistes. Plus tard, j’ai organisé un grand festival à Athènes, en Grèce, où j’ai fini ruiné (rires)… et je me suis dit que je ne ferais plus jamais de festivals. En parallèle, j’ai continué mon travail de libraire. En 1985, j’ai invité le patron de France 3 pour signer son livre en librairie et je lui ai dit que je voulais faire de la télé. Il m’a embauché, j’ai donc quitté la librairie pour devenir animateur sur France 3. Le début de ma carrière audiovisuelle. Au bout de deux ans je suis parti car je n’étais pas fait pour ça. Après quelques péripéties, de Rennes à Paris, j’ai monté Morgane Production.

Comment la société Morgane Production a-t-elle récupéré les Francofolies de la Rochelle ?

J’ai commencé à produire des émissions de télévision pour Arte et un jour il y a un garçon qui est venu me voir : il s’appelait Jean-Louis Foulquier. Il voulait faire une émission de télévision sur la chanson française, on a donc produit une émission qui s’appelait Cap’tain Café pendant trois ans sur France 3. Ensuite, c’est là qu’il m’a demandé si je ne voulais pas lui succéder à la direction des Francofolies de la Rochelle, qu’il avait créées vingt ans plus tôt. J’ai dit oui et je me suis donc retrouvé directeur des Francofolies de la Rochelle en 2004. Entre temps, notre boîte avait beaucoup progressé en matière de télévision. Le patron du Printemps de Bourges Crédit Mutuel a lui aussi pris sa retraite et m’a demandé si je voulais lui succéder. Nous avons donc aujourd’hui deux grands festivals français, plus la production d’émissions de musique, notamment Basique sur France 2, La vie secrète des chansons sur France 3 et plein d’autres.

Concrètement, quel est votre rôle sur les Francofolies ?

J’ai le rôle du patron, je dirige, je choisis les gens avec qui je travaille, nous sommes une douzaine : il y a un programmateur, il y a un directeur exécutif… On a toute une activité de repérage de jeunes talents, le Chantier des Francos, sur lequel sont passés des artistes comme Christine and the Queens, Thérapie Taxi, Lomepal, Juliette Armanet, Zaz… Mon travail consiste à décider : par exemple on fait les Francofolies alternatives qui s’appellent « Y’a des Francos dans l’air ». Il n’y avait pourtant aucune obligation de les faire. C’est un travail d’équipe. Je travaille avec une équipe qui est meilleure que moi, qui est super, qui est créative, qui est dynamique et qui est enthousiaste. Mon rôle consiste souvent à dire oui ou non… et plus souvent oui d’ailleurs (rires). Et puis aussi à garder une ligne éditoriale : je fais gaffe à ne pas tomber dans la facilité, en programmant par exemple Lenny Kravitz ou Radiohead, pour qui j’ai beaucoup d’estime et d’admiration. On fait en sorte de défendre la scène francophone. Je suis le gardien du temple, j’essaie de porter des choses qui n’étaient pas là au départ : les Francos Juniors pour les enfants, les Francos Stories qui sont un festival documentaire, les Folies Littéraires qui sont des rencontres autour de la littérature liée à la chanson… Être créatif aussi. Chaque année, il faut que je réussisse le mariage entre le public et les artistes.

Revenons sur ces derniers mois : quelle a été votre réaction quand vous comprenez que le festival sur lequel vous travaillez depuis plusieurs mois ne pourra avoir lieu sous sa forme habituelle ?

C’était la sidération la plus totale. J’y ai cru jusqu’au dernier moment, je disais aux équipes : « on ne lâche pas, je suis sûr qu’au mois de juin la vie va reprendre, qu’on pourra faire le festival ». C’était terrible car on a continué la promotion sur Facebook comme si de rien n’était… Les commentaires étaient très violents parce qu’ils disaient qu’on était irresponsables, qu’on ne pensait qu’à l’argent. Puis on a vu que ça allait être compliqué, c’était sans doute beaucoup plus prudent d’annuler le festival. Mais c’est vrai que c’était une grosse déception, d’autant plus quand vous travaillez depuis plusieurs mois, sur plein de choses intéressantes, que la billetterie est formidable, qu’on voit que la programmation correspond aux attentes du public, que vous avez plein de jeunes talents à faire découvrir au public etc. La ville de La Rochelle sans les Francofolies, c’est bizarre. Ce sera la deuxième fois en 35 ans.

Les Francofolies de La Rochelle est l’un des rendez-vous les plus attendus chaque année en France. L’idée de créer l’alternative « Y’a des Francos dans l’air » était évidente ? Comment est née cette autre version que vous allez proposer ?

Il y avait plusieurs solutions. J’aurais pu mettre tout le monde en chômage partiel, mais ce n’était pas mon idée. D’abord je trouvais que c’était bien que tout le monde travaille, pour qu’on puisse essayer de maintenir les emplois. On a donc réfléchi à ce qu’on pouvait faire tous ensemble : chaque année il y a 10 artistes du Chantier, pour eux c’est hyper important de jouer aux Francofolies, c’est un rendez-vous avec le public, puis c’est un peu comme un diplôme. C’est aussi l’occasion pour eux de rencontrer les professionnels, qui viennent les voir, qui peuvent les faire signer dans des maisons de disques, trouver un tourneur, un agent, un éditeur… Et cette année ce n’était pas possible. On a donc voulu essayer de faire quelque chose pour que ces jeunes artistes aient déjà un cachet et qu’ils puissent jouer devant un public. On s’est dit qu’on allait faire quelque chose autour de ça.

A quoi peut-on s’attendre du 10 au 14 juillet ?

Entre avril et aujourd’hui, les choses ont beaucoup bougé et bougent encore. On est parti sur des balades chantées dans les rues de La Rochelle avec des petits groupes, au coin d’une rue, d’une terrasse, d’une place, d’une cour… Des chanteurs s’y produiront a cappella ou avec une guitare ou avec un piano. Il y aura aussi des projections de documentaires comme on le fait chaque année avec les Francos Stories. On a invité les artistes à venir faire des mini concerts après leur projection, Miossec et Gaétan Roussel ont accepté de venir. On a énormément d’archives radio qui n’ont jamais été rediffusées jusqu’à présent, des concerts enregistrés aussi. L’idée d’avoir une radio sur place est née comme ça. Ça nous permet aussi de faire des showcases devant le studio, sur l’une des places de La Rochelle. On a demandé à Didier Varrod et Mélanie Bauer de France Inter de venir animer les émissions. Les restaurateurs seront impliqués, il y aura des expositions dans la ville… Ce qui est sympa, c’est que la radio va être diffusée dans les rues de La Rochelle, la ville va donc vivre au son des Francofolies !

Quels sont les temps forts que vous attendez à titre personnel ?

Ce qui me plait, c’est qu’il y a des artistes invités surprises, c’est bien les surprises. Des artistes du Chantier comme P.R2B, Clara Ysé, Ian Caulfield… On travaille avec eux depuis un an. Il y aura aussi d’autres artistes prestigieux qui vont chanter deux-trois chansons avec leur guitare.

Chantier des Francos oblige, quelles sont les dernières belles découvertes musicales qui vous ont marqué ?

Je les aime tous comme dirait Jacques Martin (rires) ! Mais il faut dire que P.R2B m’a beaucoup marqué, c’est une artiste qui a vraiment un potentiel poétique rare. J’aime bien aussi Clara Ysé et plein d’autres encore… Par exemple, Fils Cara (ndlr : révélé lors du tremplin RIFFX We Love Green en 2019), il a quelque chose dans le bide, l’écriture, il est inspiré par ses prédécesseurs… On sent qu’il a écouté Brel et Ferré. Je préfère quand ça vient des maîtres de la chanson française plutôt que de la tendance du jour. De toute façon, l’équipe du Chantier a un talent de repérage qui m’épate.

Quel sera le mot d’ordre pour l’édition 2021 des Francofolies de La Rochelle ?

Je n’aime pas le mot « ordre », je préfère l’idée du bordel responsable. L’idée c’était d’abord de proposer aux artistes que nous aimions en 2020 de jouer sur le festival en 2021. C’était la moindre des choses de leur montrer notre même envie de les accueillir. 95% d’entre eux ont été d’accord puis certains travaillent sur d’autres projets, donc ils ne seront pas disponibles. Il y a des artistes qui n’étaient pas disponibles en 2020 mais qui vont l’être en 2021, cela va être là la difficulté. J’écoutais la chanson de Julien Doré qui est superbe, Biolay c’est superbe… Tout un tas d’artistes sont en train de préparer leur arrivée en 2021 et il faudra leur faire de la place, j’aimerais que Biolay soit là par exemple. J’espère qu’on aura trouvé un vaccin qui rassurera tout le monde, que l’épidémie ne sera plus qu’un vieux souvenir, que les gens auront envie de faire la fête et que les partenaires qui nous soutiennent seront en bonne santé pour continuer à nous soutenir.

Si RIFFX était une chanson, ce serait laquelle selon vous ?

Je dirais Le baiser d’Alain Souchon parce que finalement c’est un peu ça RIFFX : un baiser entre le public et les artistes, un baiser inattendu. RIFFX, c’est faire découvrir des artistes qu’on ne connait pas forcément.