Kanye West : Yeezus

Le sixième album de Kanye West est un geste libre et ambitieux, d’un abord difficile tant les mélodies y sont abruptes et les sons électroniques violemment concassés. Ça secoue dans tous les sens, il faut s’accrocher, mais ça vaut le coup. C’est un disque fou et addictif, addition de paradoxes et de tensions : à la fois Yeezus a été conçu de façon minimaliste dans la suite d’un hôtel parisien mais il a été ensuite longuement travaillé en studio avec des moyens conséquents ; c’est d’évidence un disque très personnel mais des dizaines de musiciens et producteurs s’y pressent, qui ont co-écrit ou co-produit ces morceaux déstructurés. Parmi eux : Daft Punk, Kid Cudi, Justin Vernon (Bon Iver) ou Frank Ocean ! Le style de Kanye West est là mais comme lardé de coups de couteaux. Apparemment l’Américain aurait écarté du disque les titres les plus accrocheurs et ceux trop fidèles à ses précédents disques. Mieux, à quelques jours seulement du pressage des CD, West a embauché l’immense producteur Rick Rubin pour revoir tout l’album, le délester du superflu, le rendre plus affuté.

Le résultat est saisissant, à la fois ardu et roboratif. En ouverture, On Sight, Black Skinhead et I Am God impressionnent par leur minimalisme électronique agressif. La suite est plus orchestrée et dense, avec des morceaux à tiroirs qui lorgnent autant vers la soul que le hip-hop ou le R’n’B : Hold My Liquor et I’m In It ressemblent à des blockbusters terrifiants quand Blood On The Leaves renoue avec le lyrisme synthétique et torturé de 808’s & Heartbreak (2008). En fin d’album, Bound 2 tire un magnifique bouquet final baroque et soul. Grand album (de) malade.

Vincent Théval