L’album du mois : Real Power de Gossip

 

Après douze longues années de hiatus, le trio emmené par l’infatigable Beth Ditto donne suite à “A Joyful Noise” avec un 6e album à la force triomphale.

Rares sont les groupes à avoir traversé trois décennies de carrière. D’autant plus rares sont les groupes ayant survécu à un hiatus prolongé sans se brûler les ailes au moment de se retrouver. Gossip est de ceux-là, une bande qui peut témoigner de cette trajectoire artistique accidentée. Un groupe à la peau dure et au feu inextinguible, qui compte bien le prouver sur l’incandescent et bien-nommé Real Power, leur premier album depuis 12 ans.

Pour ses retrouvailles la bande, formée par Beth Ditto, Nathan Howdeshell et Hannah Blilie, évite donc tous les pièges induits par la possibilité d’une reformation. Aux procès en opportunisme, la bande répond par une humilité et une authenticité désarmante, au poncif du disque de la maturité, elle rétorque par la joie presque enfantine de rejouer ensemble. Le tout en balayant d’un revers de la main les accès nostalgiques en acceptant humblement d’être un groupe de quarantenaires produit de son temps (celui de la pandémie et des mouvements sociaux). A ce titre, Real Power est un disque joliment oxymorique, furieusement apaisé, un disque de combat qui se disputerait sur la piste de danse.

Mis en boîte par nul autre que l’inénarrable Rick Rubin (Beastie Boys, System Of A Down, Travis Scott), déjà aux commandes de leur opus magnum Music For Men (2009), Real Power témoigne de l’impeccable ethos de travail du gourou barbu. Une sorte de 4e membre fantôme qui aurait pour mission de simplement mettre les trois Gossip dans les meilleures dispositions, tout en aiguillant paisiblement leurs choix créatifs. Une méthode en apparence toute simple – ayant fait ses preuves à de multiples reprises – qui semble libérer complètement Gossip.

Sans jamais gonfler les muscles ou rouler des mécaniques, Real Power (dans la droite lignée de l’imparable alliage de post-punk et de dance de Gossip) est un disque d’une efficacité sans faille et sûr de ses choix. Qu’il s’agisse du morceau-titre politiquement chargé et télescopant l’énergie brute du hard-rock et celle dansante du disco, des expérimentations d’obédience hawaïenne (où se situe le studio de Rick Rubin) qui ont naturellement irrigué le morceau Turn Your Card Slowly, ou de l’irrésistible Give It Up For Love décrit par le groupe comme un morceau d’influences Talking Heads, ce 6e album transpire l’ADN Gossip.

Cette manière, inhérente au groupe de l’Arkansas, de transcender leur activisme politique (ici Black Lives Matter ou les menaces perpétuelles qui planent sur les droits des personnes queer) par l’urgence insurrectionnelle et libératrice de leur musique, est une nouvelle fois déployée sur Real Power. Un retour triomphal qui prouve que le trio emmené par Beth Ditto n’a rien perdu de sa superbe mais surtout de la force rebelle qui porte et portera toujours leur musique. Ça valait bien 12 ans d’attente.