L’album du mois : Solstice de Lala &ce

 

Après deux mixtapes de haute volée, la rappeuse lyonnaise publie enfin son premier disque. Un album-concept qui imagine la lutte d’un groupe de résistants dans une société de contrôle dystopique.

Si l’idée peut avoir l’air d’un poncif, un lieu commun presque, pour le rap français ces dernières années, il n’est pas étonnant de voir la rappeuse ultra-versatile Lala &ce s’essayer à l’album-concept pour son tout premier disque. A l’instar d’un Laylow qui imaginait déjà un monde post-apocalyptique et transhumain proche de Matrix sur Trinity, la lutte contre un monde dystopique sur Solstice de Lala &ce traduit à merveille toute l’ambition formelle et artistique de la rappeuse ainsi que les désirs d’émancipation qui traverse sa carrière en pleine expansion.

Autrice de deux mixtapes essentielles (Le son d’après en 2019 et Everything Tasteful en 2021) pour saisir ce qu’il se passe dans les marges du rap français grand public, la jeune rappeuse ayant débuté sa carrière à Lyon a toujours fait preuve d’une inventivité débordante pour rénover le genre, l’ouvrir à de nouveaux horizons et de nouvelles thématiques. Inspirations venues d’Outre-Manche, brassage des genres qui regardent aussi bien du côté de la trap d’Atlanta, que des musiques électroniques d’avant-garde ou des artistes les plus aventureux de la scène Soundcloud, Lala &ce a toujours mis à point d’honneur à faire de la musique érudite, luxueuse et luxuriante. Et surtout, jamais Ô grand jamais, ressembler à un autre artiste du paysage rap français prompt à créer des clones.

Après un EP récréatif (le solaire SunSystem), l’artiste pousse enfin tous les curseurs à fond sur son premier album : Solstice. Tout en mobilisant son savoir-faire technique accumulé les années passées, elle s’y dépeint en rappeuse-activiste membre du BUT (Bloc Unificateur des Tropiques), un mouvement de résistance luttant contre une société autoritaire obsédée par le contrôle et la privation de sentiments dirigée par La Ligne. La métaphore est on ne peut plus claire : face à la standardisation, face à la normativité des genres musicaux, Lala &ce est un esprit libre. A l’injonction “ne quittez pas la ligne” assénée en début de disque, elle répond en multipliant les pas de côtés.

Dans une ambiance qui convoque les claviers de Vangelis pour la bande-originale de Blade Runner ou les rêveries eighties des derniers albums de The Weeknd, Solstice est un disque aussi suave qu’il est âpre. Des nerveux Licorne et Drogue d’hiver, aux langoureux 3am in Paradise et Jalouse en passant par les OVNIs Djinzin ou Sexyy Red en collaboration avec la nouvelle star du rap La Fève, Solstice est un sommet de rap français justement parce qu’il ne ressemble à rien de ce qu’il se fait dans le rap français. Une leçon, avec toute la maestria qu’elle suppose, d’inventivité et de mise en scène de la difficulté et l’importance d’être aussi libre et émancipée que possible autant dans l’industrie musicale que dans la vie.