Les fauves sortent de leur cage

Fauve ≠ est sur les lèvres de presque tous les amoureux ou professionnels de la musique en France. Drôles d’animaux en liberté qui bousculent les formats, qui explosent les jauges sans même avoir sorti d’album et engendrent des myriades d’admirateurs et de détracteurs, comme souvent dans les succès fulgurants.

Fauve n’est pas tout à fait un groupe ordinaire. C’est un collectif formé de cinq garçons dont on ne connait pas les noms ni vraiment les visages et qui conservent précieusement leur anonymat, rempart a priori nécessaire à leurs yeux pour se préserver de l’engouement soudain. Il y a encore peu de temps ils menaient tous une existence banale de cadres moyens, s’adonnant, le soir, à la musique et aux textes « pour aller mieux », « pour s’échapper ». Au départ, ils avouent une démarche égoïste car ils voulaient juste un exutoire pour leurs vies mises sur des rails. Se faire du bien tout simplement. Et il se trouve que, sans le prévoir, ils en ont fait également à beaucoup d’autres. De boules de neige en conseils d’amis, leurs chansons ont été partagées par des milliers de personnes et, ce qui ressemblait jusque-là à un petit atelier artisanal très privé s’est transformé en l’une des affaires les plus cotées. Du moins c’est ce que voudraient les maisons de disques, à présent toutes prêtes à faire signer un contrat au cinq gaillards.

De l’ombre à la lumière

Parce que depuis quelques mois donc, Fauve est devenu un phénomène, remplissant les salles et déchaînant les passions. Et pourtant il ne possède à son actif qu’une toute petite poignée de chansons. Même pas de quoi faire un album pour l’instant, à peine un E.P. (Extended Play, disque de format court comprenant en général entre 4 à 6 titres). Ce dernier intitulé Blizzard est finalement sorti face au succès, mais jusque-là tout était mis gratuitement à la disposition des internautes. Et le reste encore.

Cohérence des arts

Fauve a repoussé les limites de l’exercice des chansons, a étendu le territoire de la création musicale. Il y a la vidéo d’abord, partie intégrante de chacun de leurs titres et de toutes leurs prestations scéniques. L’un des membres est d’ailleurs entièrement voué à cette fonction, vidéaste expérimenté et habile. Et puis il y a chez eux presque une forme de théâtre : pas de chant, ou très peu. Les rares phrases interprétées de Blizzard prouvent d’ailleurs que c’est loin d’être leur point fort. À la place ils utilisent un genre de spoken, pas réellement du slam, plutôt une forme de parler direct, d’invective qui ne passe pas par le prisme d’une histoire ou d’une poésie littéraire. À travers leur langage de tous les jours qui ne s’occupe pas de censurer l’argot ou les répétitions, ils construisent des monologues qui haranguent, s’adressent, interpellent quelqu’un en particulier à chaque fois. Peut-être un frère, un ami, une fille ou une personne croisée au hasard… Sur des rythmiques empruntées au hip-hop, des guitares puisées dans le rock, le message martèle continuellement l’espoir, avec pour décor les solitudes et les peurs universelles. Le blizzard, comme ils disent, terme brandi en titre et revenant dans plusieurs morceaux, métaphore des sales périodes que la vie offre.

Coup de griffe du Fauve

D’uppercuts en émotion, de phrases chocs en mots banals, Fauve touche droit au ventre et mobilise l’humain. Au moins deux générations s’y reconnaissent. Et aiment qu’enfin on ne leur narre plus les pleurs, la douleur, les craintes, mais qu’on leur demande de se relever d’elles : « N’attends rien que de toi / Parce que tu es sacré / Parce que tu es en vie / Parce que le plus important n’est pas ce que tu es mais ce que tu as choisi d’être/[…]/ Il faut qu’on sonne l’alarme qu’on se retrouve / Qu’on se rejoigne qu’on s’embrasse / Qu’on soit des milliards de mains sur des milliards d’épaules / Qu’on se répète encore une fois que l’ennui est un crime / Que la Vie est un casse du siècle » (extrait de Blizzard).

Une bouffée d’air dans un panorama sociétal qui peint tout en sombre. Et une respiration dans un paysage musical qui a tendance à se répéter depuis trop longtemps.

Le petit signe qu’ils collent comme un logo après leur nom avertissait bien : ≠. Différent.

Marjorie Risacher

Lucius : Good Grief

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