Les Femmes du Chantier des Francofolies #12 : Pomme

Chanteuse multi-instrumentiste et auteure-compositrice, Pomme a su faire chavirer nos cœurs avec son deuxième album : Les Failles. Récompensée aux Victoires de la Musique, soutenue par France Inter, enfin reconnue par le grand public pour son talent immense, cette artiste – pas vraiment pop, pas totalement folk, avec un grain de voix ensorcelant – mérite tout ce qui lui arrive. RIFFX clôture aujourd’hui sa série d’interviews « Les Femmes du Chantier des Francofolies » – mettant à l’honneur 12 femmes artistes passées par ce dispositif unique entre 1998 et 2021 – en la compagnie charmante et spontanée de Pomme. Rencontre.

Bonjour Pomme, votre passage sur le Chantier des Francofolies remonte à 2016. Quelles étaient vos motivations à l’époque ?

Je me souviens que j’étais la plus jeune de ma promotion, j’avais 19 ans. Je venais de sortir mon premier EP, signer le contrat avec mon label, c’était le tout début de mon projet même si j’étais déjà entourée d’une équipe avec tourneur, label et managers. Mon processus de création était aussi avancé, mais c’était le début de la concrétisation du projet. En discutant avec mes managers de l’époque qui travaillaient avec des artistes comme Laurent Lamarca ou Ben Mazué – déjà passés par le Chantier – ils m’ont dit que cela pourrait être cool d’y aller. Comme j’étais seule sur scène en mode guitare/voix, j’avais un peu tout à apprendre et un champ des possibles assez immense à développer. Je me souviens avoir pensé que le Chantier serait ma façon d’aller au bout de cette configuration-là. Depuis très récemment, je suis accompagnée de musiciennes sur scène mais pendant huit ans j’ai fait tous mes concerts en solo. L’idée en allant au Chantier, c’était d’être plus entourée, d’apprendre avec les autres. Je me souviens que c’était un peu la colonie de vacances, tout le monde était adorable, j’ai appris plein de choses et j’ai réussi à en tirer profit.

Qu’avez-vous gardé des enseignements du Chantier des Francofolies ?

Avant d’aller sur le Chantier, surtout quand on a 19 ans, j’avais des automatismes sur scène et j’ai donc ensuite essayé d’appliquer tout ce qu’on m’avait appris. Mais en fait, j’étais tout le temps dans ma tête, sans réussir à profiter de ces moments. J’ai appris à sélectionner les choses que j’allais appliquer car sinon j’aurais sûrement passé trois ans à essayer de cocher toutes les cases. Il y a un point qui m’a marqué : avant je fermais tout le temps les yeux quand je chantais sur scène. Après le Chantier, notamment grâce à Christophe Mali de Tryo qui s’occupait de moi, j’ai appris à regarder beaucoup plus le public. C’est l’un des enseignements principaux que j’ai gardés de mon passage là-bas. Bon… Et ça ne m’empêche pas de fermer encore les yeux quelques fois (rires).

Depuis, du chemin a été parcouru ! En 2019, la sortie de votre second album Les Failles va devenir le révélateur de votre existence auprès du grand public. Quel regard portez-vous sur ce projet ?

C’est un album que j’ai créé entre fin 2017 et début 2019, donc sur un an et demi, ce qui est assez court finalement. Il n’y a pas vraiment de règles mais j’avais mis par exemple quatre ans à faire le premier. Ça a été hyper fulgurant en fait, une sorte de réponse au premier que je n’avais pas pu faire dans des conditions artistiques idéales. Comme ça a été très compliqué, j’ai tout de suite embrayé avec Les Failles. Cet album a été une réappropriation de mon art, ma façon de créer, mes chansons, ma personnalité et mon identité artistique. Il a effectivement eu un impact totalement différent et beaucoup plus grand que le premier. Je suis très fière de ce que cet album m’a apporté et de toutes les choses que j’ai réalisées. C’était la première fois que je composais et écrivais la totalité des chansons, j’ai aussi fait toute la direction artistique, j’ai coréalisé, j’ai même réalisé des clips… Il y a beaucoup de choses que j’ai faites par moi-même comme si j’étais une artiste indépendante alors que je suis signée chez Universal. J’ai pu récupérer le contrôle de mon projet et ça m’a amenée dans plein d’endroits fous, auxquels je ne m’attendais pas du tout. J’ai du mal à mettre un point final sur Les Failles car je n’ai pas vraiment pu le chanter en live, même si j’ai eu la chance de faire une trentaine de concerts avant la pandémie et dans la petite fenêtre de septembre-octobre 2020… Mais c’est limite pire car je sais ce que ça aurait pu être. En plus j’ai envie de profiter du fait que maintenant les gens me connaissent et ont identifié qui je suis. Mon public est hyper fidèle et bienveillant. D’un côté j’ai envie de leur proposer de nouvelles choses et à la fois je n’arrive pas à faire le deuil de cet album qui n’a pas eu l’occasion de vivre en tournée.

Cet album vous a permis de remporter deux prix aux Victoires de la Musique : « Album révélation de l’année » en 2020 et « Artiste féminine de l’année » en 2021. Comment vit-on cette reconnaissance du milieu ?

L’année dernière je ne m’y attendais pas et je ne pensais même pas être nommée. C’est assez particulier car je pense avoir un profil d’artiste sans trop d’équivalent en France – pas parce que genre je suis unique et qu’il n’y a personne comme moi (rires) – mais plus dans le développement et le positionnement de mon projet. Mes chansons ne passent pas sur les radios dites « jeunes », je suis soutenue par France Inter mais c’est très récent, ça a été le partenaire principal des Failles. Sur le premier album, je n’avais personne : il n’y avait pas un grand intérêt médiatique, il fallait toujours aller chercher les médias, pas de télévision, aucune radio… Ce premier album s’est développé 100% par la scène et grâce à mon tourneur. Pour Les Failles, le fait qu’il y ait eu France Inter, d’autres partenaires, des médias qui s’engagent etc., c’était déjà énorme pour moi. Tout ce qui est arrivé ensuite était super inattendu. Je n’ai pas un profil d’artiste qui rentre dans des cases, et les Victoires – même si des efforts sont faits à tous les niveaux pour diversifier les nommés – il faut toujours répondre à certains critères, c’est une cérémonie très interne à l’industrie de la musique. Il y a des artistes qui ne seront jamais nommés et je pensais en faire partie comme je ne passais ni à la télévision, ni à la radio. Grâce à cette nomination, j’ai pu faire mes premiers passages TV, en janvier 2020 dans C à vous, puis avec Les Victoires donc. Ah si, j’avais été invitée à Taratata une fois – et ça avait été un désastre – pour faire des duos avec MC Solaar et Asaf Avidan. Mais je n’y ai jamais chanté mes propres chansons. Je ne suis jamais passée dans Quotidien ou je n’ai jamais été invitée chez Laurent Ruquier à ce jour. Je me souviens, quand j’ai appris ma nomination aux Victoires je me suis dit : « Wow, j’ouvre la porte interdite » (rires). Ça a été intense la première fois, j’ai rarement été aussi stressée de toute ma vie ! J’avais des concerts la veille et le lendemain que nous avons dû annuler pour faire Les Victoires, quand j’ai gagné le prix j’étais un peu dans un état second, je n’ai réalisé qu’après coup.

Une expérience à part entière donc. Et cette année ?

Je dirais que j’étais plus à mon aise, parce que j’ai travaillé comme une folle toute l’année 2020, pendant la pandémie, pour faire vivre mon album : je l’ai réédité à deux reprises, j’ai réussi à faire quelques concerts à l’automne, j’ai fait le maximum de promo, j’ai sorti des clips que j’ai réalisés… Je me sentais beaucoup plus légitime en fait. Cette porte était déjà ouverte aussi, donc c’était super chouette même si je ne m’attendais toujours pas à gagner. Ce qui était le plus important pour moi, c’était de présenter quelque chose qui me ressemblait, plus que l’année dernière. Cette fois j’ai pu faire toute la direction artistique et donc faire ce que je voulais en totale liberté. C’était super. Par contre, j’ai été perturbée de gagner face à Aya Nakamura alors que c’est la plus grosse vendeuse de disques depuis pas mal de temps. Elle est toujours nommée mais ne gagne jamais. En tant qu’artiste blanche qui a remporté la victoire face à une artiste noire, cela soulève des questions qui sont importantes de notre société. Je m’attendais à ce qu’elle gagne et j’aurais été hyper contente pour elle. Alors oui, il y a des critères qui entrent en compte et la plupart des votants sont internes à l’industrie de la musique, mais bon… La fois aussi où elle était nommée pour « Album de l’année » et « Chanson de l’année » avec Djadja, c’est scandaleux qu’elle n’ait gagné aucun prix. A un moment donné, je crois qu’il serait bien de donner du crédit aux gens qui vous font rouler avec votre argent. J’ai même écrit à Aya ensuite mais je pense qu’elle n’a jamais vu mon message. Si j’avais eu assez de courage, je me serais levée et je lui aurais donné le prix.

Après cette belle reconnaissance française, avez-vous déjà envisagé la conquête d’un public étranger ?

Ce n’était pas dans mes plans jusqu’à récemment. Comme j’habite entre le Canada et la France, j’ai toujours parallèlement développé mon projet au Québec, c’est francophone mais sur un autre continent qui est surtout entouré de personnes anglophones. Il y a déjà ce souhait de développer mon projet au Canada, j’y fais beaucoup de promo. New York n’est pas vraiment très loin non plus, donc je me disais récemment que j’adorerais sortir aussi mon prochain album aux Etats-Unis. J’avoue que pendant le mandat de Trump, je n’avais pas spécialement envie d’y aller mais maintenant j’ai l’impression que ça va être plus « safe » et en plus ils sont en train de sortir de la pandémie. Comme je passe de toute façon la moitié de mon temps au Canada, ce sera plus simple pour moi de développer mon futur projet aux Etats-Unis. C’est assez étrange d’ailleurs, sur Spotify, mon deuxième plus gros pays d’écoutes est les Etats-Unis après la France. Je me dis qu’il y a peut-être quelque chose à étudier pour faire un plan promo là-bas. Il y a plein d’endroits aussi en Europe où j’ai envie d’aller, plusieurs dates de concerts sont prévues pour 2022. Des pays comme l’Allemagne apprécient la musique francophone donc pourquoi pas. C’est un objectif avec mon équipe pour les trois prochaines années, mais c’est tout nouveau.

On espère alors te voir sur le plateau du Saturday Night Live pour le prochain album !

Franchement j’aimerais trop (rires). En plus il y a eu cet épisode fou où l’actrice américaine Brie Larson a repris une de mes chansons. J’étais là : « Oh mon dieu », je ne comprends pas comment elle a eu accès à ma musique. Elle disait prendre des cours de français, c’est peut-être comme ça qu’elle m’a découverte.

Parmi la sélection 2021 du Chantier des Francos, il y a autant de femmes que d’hommes, une parité qui fait plaisir. Selon votre expérience, pensez-vous qu’il est plus difficile de se faire une place en tant que femme dans l’industrie du disque ?

Je pense que c’est à l’image de la société. Il n’y a pas beaucoup de milieux dans lesquels les femmes sont l’égale de l’homme à tous niveaux et c’est juste un témoignage comme un autre du sexisme, des problèmes de misogynie et de la place des femmes dans la société en général. Que ce soit dans la musique, le sport, la politique ou ailleurs, j’ai l’impression qu’elles sont toujours moins bien payées que les hommes et qu’elles peuvent être victimes de sexisme et d’agressions. Dans la musique, c’est peut-être appuyé par le fait que certaines personnes – notamment des hommes – ont accès à beaucoup d’argent et beaucoup de pouvoir. Et ça pourrait empirer ces comportements-là.

Quels conseils donneriez-vous aux 22 artistes du Chantier des Francofolies 2021 ?

Celui que je donnerais, et que j’avais reçu de Cléa Vincent, serait de prendre uniquement les choses qui vous semblent naturelles et de ne pas appliquer tous les conseils à la lettre, si on n’est pas profondément d’accord ou si on n’est pas sûrs. Il y a des choses qui fonctionnent pour certains artistes et d’autres pas. On ne peut pas uniformiser les projets, ça n’existe pas et ça ne sert à rien. Le Chantier est vraiment chouette quand on arrive à faire la part des choses et à prendre ce qui nous correspond le mieux, sans forcément appliquer les mêmes choses que les autres. Aussi, avec mon expérience, j’ai appris que faire des compromis n’était pas la bonne chose à faire. Moins j’en fais et mieux je me porte, et plus mon projet est à sa place. C’est comme ça que je me sens bien et que mon projet évolue maintenant.

L’occasion est trop belle : nous étions tombés sous le charme de « La chanson des 20 ans », que vous aviez postée à vos débuts. Cette année, le Crédit Mutuel fête les 20 ans de son implication dans la musique en « donnant le LA ». Que pouvez-vous nous souhaiter pour cet anniversaire ?

20 ans, c’est à la fois jeune et c’est quand même pas mal. Bravo d’en être arrivé jusque-là ! 20 ans, c’est un âge qui est plein de phases, on a acquis assez d’expériences pour ne plus être adolescent. J’ai appris que l’adolescence dure jusqu’à 19 ans, parce que le dernier « teen » en anglais c’est « nineteen » (dix-neuf) et après on passe à « twenty » (vingt) qui correspond à l’âge adulte. Et en même temps c’est très jeune 20 ans. Je sais qu’à cet âge-là, j’avais l’impression que ma vie était finie (rires) mais c’est aussi un peu le début de la vie, où l’on entame la démarche de savoir ce qu’on veut et se connaître soi-même.

C’est quoi la suite pour Pomme ?

J’avais trois dates à l’Olympia qui étaient l’apogée du kiff et de la vie des Failles, on a fini par les décaler une ultime fois en septembre. Je crois que ce sera un peu la « deadline » de la vie de cet album puisque ça fera quasiment deux ans qu’il sera sorti. Si on arrive à faire ces dates, ce sera une belle manière de finir le développement de ce projet en live, devant des gens. D’ici là, il va y avoir encore pas mal de promo et j’ai une petite surprise qui sort mi-mai, dans trois semaines… Un projet que j’aime trop et que j’ai hâte de dévoiler. Quelques surprises sont à venir et quelques concerts cet été j’espère. Ceux que je pourrai faire seront très précieux. Après je pense partir enregistrer des nouvelles chansons ou en écrire, et c’est à ce moment-là que je refermerai la porte des Failles pour revenir avec autre chose en 2022. J’ai aussi des millions de projets annexes : un projet de livre pour enfants avec une de mes meilleures amies qui s’appelle Pi Ja Ma, elle a d’ailleurs fait le Chantier des Francofolies elle aussi. Elle s’occupe des illustrations et de mon côté je conceptualise et écrit. Il va y avoir aussi plein de génériques de dessins animés que j’ai composés et chantés. C’est peut-être le seul point positif de la pandémie : avoir pu faire toutes ces choses que je n’aurais jamais eu le temps de faire, à moins de zapper le sommeil ! Et puis sur une autre note, je vais passer mon permis aussi (rires)… Si je pars vivre au Canada, ce qui est déjà un peu le cas, ça pourra m’être utile.