Les Femmes du Chantier des Francofolies #8 : Buridane

A travers une série d’interviews, RIFFX met à l’honneur 12 femmes artistes qui sont passées par le Chantier des Francos entre 1998 et 2020. Ce dispositif unique, destiné à des artistes émergents de la chanson francophone, a pour but de perfectionner leur art de la scène. Après Carmen Maria Vega et Mélissa Laveaux, RIFFX continue cette série de portraits en compagnie de Buridane : une artiste aux mots toujours bien sentis, entre poésie intime et universelle. Son deuxième album, Barje endurance, est une collection de chansons intrépides qui se révèlent à l’infini. Rencontre.

Bonjour Buridane, ta participation au Chantier des Francos remonte à 2009. Quelles étaient tes motivations à l’époque ?

En 2009, je faisais des chansons depuis à peine un an. Je n’avais d’ailleurs jamais entendu parler du Chantier des Francos, ni même de grand-chose parce que je viens de la danse. A ce moment-là, je débarquais dans le milieu de la musique. C’est Olivier Boccon-Gibod, mon partenaire historique, qui m’a inscrite au Chantier. Avec Olivier, on s’est rencontré sur un tremplin et il est devenu très rapidement mon tourneur, puis mon manager.

Ce passage au Chantier des Francos a-t-il donné un coup d’accélérateur à ta carrière ?

Clairement oui, l’année du Chantier et celle qui a suivi, j’ai signé avec Sony/ATV. Cela va faire maintenant dix ans qu’on est partenaires, ce sont des gens qui sont restés fidèles. J’ai aussi signé avec Believe Recordings pour la sortie de mon premier album. J’ai obtenu le prix Premières Francos avec l’Adami juste après. En 2011 j’ai été lauréate du Fair, talent Europe 1… Quand même, ça ressemble à une jolie rampe de démarrage (rires) ! Lors du Chantier, j’ai rencontré Jean-Claude Catala qui était coach. C’est quelqu’un avec qui on essayait de mieux comprendre qui on était, ce qu’on voulait dire, ce qu’on voulait faire etc. Il m’accompagne encore aujourd’hui, il m’aide toujours à savoir ce que je veux faire ou non. Je pourrais aussi mentionner le soutien de Gérard Pont et d’Emilie Yakich. Non seulement c’est un coup d’accélérateur, mais c’est aussi des partenaires de toute une carrière. C’est assez rare je crois aujourd’hui dans les dispositifs qui existent.

Le public français t’a découverte en 2012 avec le titre Badaboum, extrait de ton premier album Pas fragile. Quel regard as-tu aujourd’hui sur ce début de carrière ?

Beaucoup de tendresse et de fierté, parce que qui dit premier album, dit forcément fraîcheur et maladresses. Ecouter son premier disque, c’est un peu comme revoir des photos de soi à l’adolescence (rires). On se sent forcément très différent et on aurait presque envie de renier cette période, et en même temps c’était nous à ce moment-là. Je trouve que déjà c’est un exploit d’avoir accompli ça et une fierté que ça ait pu avoir une résonnance pour d’autres.

Cinq ans plus tard, en 2017, tu es revenue avec Barje endurance. Pourrais-tu présenter ce deuxième album ?

Barje endurance est un album qui parle de transitions, à l’échelle intime et à l’échelle collective. J’ai commencé à l’écrire en 2012, juste après avoir enregistré Pas fragile. Je me suis intéressée à comprendre comment les deux échelles sont interdépendantes quand le monde est en transition, comment dans nos vies ça se répercute. Ça parle aussi de deuil à faire, de cycles de vie, de paliers à franchir, des fins qui sont peut-être des débuts et aussi bien sûr, il y a de l’espoir en perspective. Musicalement, il est à la fois acoustique et électro. Ce qui était très différent et nouveau pour moi cette fois, c’est d’avoir écrit les arrangements. Je me suis fait accompagner de Cédric de la Chapelle qui a optimisé ces arrangements et qui a pris en charge la réal. C’est un disque d’accomplissement de soi, de changements, de mutations.

Ces thématiques résonnent encore plus en 2020.

Exactement, c’est assez incroyable de voir l’écho que ça a. On était déjà tous en train de se poser des questions sur notre monde qui décline. C’est vrai qu’en ce moment c’est très intense (rires) ! On n’a plus trop le choix que de se remettre en question. J’avais conscientisé cela à l’époque, ça avait vraiment changé mon regard sur le monde et sur moi-même, de me dire on n’est pas tous seuls avec notre égo, on est aussi un être vivant au cœur d’un système vivant, et c’est un peu rassurant de voir cette échelle collective.

Revenons à notre Chantier des Francos ! Parmi la sélection 2020, il y a autant de femmes que d’hommes, la parité fait plaisir à voir. Selon ta propre expérience, penses-tu qu’il est plus difficile de se faire une place en tant que femme dans l’industrie du disque ?

Je ne sais pas s’il est plus difficile de se faire une place en tant que femme, mais ce qui est sûr, c’est qu’il est plus difficile d’être une femme dans l’industrie tout court, notamment à cause de tous les enjeux relationnels et culturels dont on a plus ou moins conscience. Par exemple, quand j’ai commencé, tous mes interlocuteurs étaient des hommes, et des hommes plus âgés, tous métiers confondus, à part peut-être les attachés de presse. C’est arrivé que certains d’entre eux puissent avoir un comportement paternaliste. Là où c’est un peu plus complexe, c’est qu’on est toujours deux dans une relation, et pour que l’un puisse endosser la fonction du parent il faut que l’autre accepte de jouer la position de l’enfant. Donc pour moi y’a pas de pierre à jeter aux hommes, il faut qu’on se remette tous en question, sans exception de genre, pour pouvoir s’émanciper des carcans dans lesquels notre éducation et notre culture nous ont coincés. Il y a encore du boulot, mais je trouve que ça avance.

Quels conseils donnerais-tu aux 18 artistes du Chantier des Francos 2020 ?

C’est jamais facile de donner des conseils ! Peut être déjà par rapport au Chantier, je dirais de saisir cette chance à bras le corps, de tout prendre et de faire le tri après de tout ce qui peut être abordé. J’y suis allée avec des peurs, mais si on y arrive, c’est bien de les faire taire un peu, comme les préjugés et l’orgueil. Oser sa vulnérabilité et oser douter, parce que si on est au Chantier des Francos c’est qu’on est au début, donc c’est encore le moment de pouvoir douter en toute sécurité. Le Chantier a ébranlé des choses en moi, ça a été un accélérateur personnel, afin de savoir de qui je m’entoure, ce que je veux faire ou ne pas faire… C’est forcément déstabilisant mais on est en sécurité. Il y a une équipe autour, donc c’est l’endroit où on peut être fragiles pour ensuite être plus forts.

C’est quoi la suite pour Buridane ?

Je suis trop contente que tu me poses la question parce que j’ai quasi fini d’écrire mon troisième album. En ce moment, je suis en train de constituer mon équipe artistique, c’est rigolo d’ailleurs car il y a quelqu’un qui a aussi fait le Chantier des Francos. On devrait enregistrer début 2021 pour sortir le disque, à mon avis, début 2022. Le résultat devrait être assez étonnant et différent de ce que j’ai fait avant. Je suis bien impatiente de partager tout ça !