Marie-Flore : By The Dozen

On attendait ce disque depuis un moment. Déjà forte d’un E.P et d’un maxi, Marie-Flore arrive enfin avec une pop indé impeccable, une voix de satin, des textes soignés au thème monomaniaque du sentiment amoureux et des arrangements à tomber de délicatesse. Après des premières parties (Peter Van Poehl, Émilie Simon), une tournée avec Peter Doherty et une carrière de parolière qui s’entame parallèlement, cette pourtant toute jeune fille peut déjà se targuer d’un sacré bout de chemin. Et à présent d’un premier album « By The Dozen »réussi haut la main.

Il vous aura fallu trois ans pour fabriquer cet album et pour nous cueillir au tournant. L’étiquette folk d’il y a encore cinq ou six ans est bien loin…
Oui et j’y tenais beaucoup parce que je ne me suis jamais considérée comme folk. C’est l’image qu’on m’avait collée parce que j’étais une jeune fille avec une petite voix et une guitare. Cela dit, c’est vrai que les compositions étaient assez douces. Mais ce n’est jamais l’énergie que j’ai voulu défendre. Ce n’est pas moi. À partir du moment où je suis partie en tournée avec Doherty, il y a quelque chose qui s’est débloqué, un truc qui m’a fait énormément écrire. Je ne savais plus vraiment où je voulais aller musicalement, je commençais à faire des démos qui tiraient vers l’électro, je ne savais plus trop où je me situais. Et le fait de tourner avec lui, le fait de le voir défendre ses chansons guitare/voix sur scène tous les soirs, son écriture, notre amitié naissante… tout ça a été déclencheur. Cela m’a remise sur les rails de ce que je voulais défendre en terme de musique.

Il y a quelques années vous disiez avoir du mal à travailler avec quelqu’un, à laisser votre bébé musical entre d’autres mains. Pourtant, pour ce premier album, Robin Leduc a pris une part importante dans la production, la réalisation, les arrangements. Cela n’a pas été trop difficile ?
Non j’ai appris à lâcher prise et on a vraiment fait les choses à deux. J’essayais d’arriver avec des démos assez abouties pour que lui ait des pistes immédiates en terme d’arrangements, de couleur de son. Mais cela dépendait des chansons. Il y en a certaines où j’ai en effet dû lâcher le bébé parce que je n’apportais qu’un squelette sans réelle direction artistique. Et d’autres où les choses étaient vraiment ancrées et je ne lâchais rien. C’est toujours un peu dur de se dire que la personne à côté de toi a une meilleure idée sur ta chanson, c’est toujours un peu douloureux. Mais j’ai appris à me dire « tais toi et attends ». Et avec Robin c’était hyper fluide. Ces trois ans auraient pu nous fatiguer, nous user. Chacun à son tour on a été un peu essoufflé en se demandant quand on arriverait à la fin du processus. Une fois que l’on a décidé que c’était terminé, on s’est posé deux semaines, on a fait du mix, du réarrangement pour donner une forme d’homogénéité à l’ensemble. Il y avait un risque que les chansons soient très décousues parce que elles ont été composées et enregistrées à différents moments. C’était une grosse peur que j’avais quand j’ai décidé de terminer. La prise de conscience s’est vraiment faite au mastering quand, avec mon manager Claire, on a fait le tracklist de l’album. Ça a été le bon tout de suite : on a plus jamais changé l’ordre. C’était évident. Et c’est là que je me suis dit : ça y est, ton album tu l’as. C’est fini.

Vous avez une écriture des textes très spécifique, remplie d’images. Là où certains artistes avouent un moment compliqué, vous donnez l’impression d’une facilité et d’un plaisir à les faire.
C’est ce qui me plaît le plus. D’ailleurs, quand je découvre une chanson j’écoute les paroles avant de me laisser transporter par la musique. Je suis très exigeante là-dessus. Et j’adore écrire en fait. Après, il n’y a pas que les mots qui comptent. Finalement ils peuvent être simples et le propos peut paraître léger. Par exemple Lou Reed dans Perfect Day ne raconte rien de spécial, il boit de la sangria dans un bar. Mais c’est magnifique parce que c’est tourné et posé d’une certaine manière. Il n’y a pas que le mot mais aussi la manière de l’agencer, sa sonorité. Et c’est vrai que jusqu’au dernier moment, avant d’enregistrer, je rature encore des lignes, j’essaie de nouvelles formules. J’invente des tournures qu’un Anglais n’emploierait pas naturellement mais, quand il les lit, ça fait sens. Du coup je m’attribue beaucoup plus de marge de manœuvre.

L’exercice vous plaît tellement que vous écrivez maintenant pour d’autres comme Stuck In The Sound. Une vocation que vous allez continuer ?
J’aimerais beaucoup me diriger vers ça en parallèle, oui. C’est vraiment très excitant d’écrire sur une musique qui n’est pas la sienne. D’autant plus que pour Stuck In The Sound l’exercice était très spécial car ils font du rock. Les phrases d’accroche sont très courtes, les mélodies très énergiques. C’était un défi pour moi qui préfère faire une phrase plutôt que de dire « yeah ». De plus j’écrivais pour un homme. Mais justement ce qui l’intéressait, lui, c’était d’avoir un discours plus féminin, de s’éloigner un peu du format rock basique pour aller vers une sorte d’essence plus poétique. Et c’est vrai que quand je suis allée les voir à l’Olympia et que je les ai entendus en live, ça m’a remuée. Ce sont mes mots dans la bouche d’un autre, avec une salle bondée qui crie avec lui. C’est assez émouvant. Je continue l’expérience puisque je suis en train d’écrire pour un groupe électro qui s’appelle OMOH. Et j’espère bien qu’il y en aura d’autres.

Sur scène vous avez une guitariste de choc puisque les connaisseurs peuvent reconnaître le Prince Miiaou…
On est très amies depuis huit ans. On a commencé la musique au même moment, dans les mêmes studios. C’est comme ça qu’on s’est rencontré. On ne s’est plus lâché depuis, c’est vraiment une amie très proche. En juillet dernier mon guitariste initial a été embauché pour une énorme tournée. Il ne pouvait pas effectuer les dates pour moi alors j’ai appelé Maud-Elisa (Ndr : véritable prénom du Prince Miiaou) pour me plaindre, parce que comme les vraies filles on s’appelle toujours toutes les deux pour se plaindre de nos vies. Et sur le ton de la blague elle m’a dit « ah mais je suis libre, j’ai terminé la promo de mon album, je n’ai rien à faire ! » Et c’est parti comme ça. Je suis très heureuse de sa présence, elle apporte son énergie de Prince Miiaou et je crois qu’elle aussi adore cette place, désacraliser et ne pas porter le projet au moment où on est sur scène. Ça aussi c’est quelque chose que j’adorerais faire ! Qui sait…

Propos recueillis par Marjorie Risacher

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Marie-Flore – Fancy Me

Crédit Photo : © Renaud CAMBUZAT