Moderat : III

Troisième album de la dream team composée de Modeselektor et Apparat. Les Berlinois, album après album, inventent une nouvelle voie, loin des expérimentations d’Apparat et assez éloignée de la techno décalée de Modeselektor. Mais l’addition de talents ne donne pas pour autant un nouveau talent. On parle ici d’art et pas de mathématiques. Pourtant, Moderat arrive encore à surprendre par sa subtilité, sa mélancolie et son sens mélodique proche d’un Radiohead. Rencontre avec le trio superstar en Allemagne qui prouve que l’underground peut accoucher de chefs-d’œuvre.

Êtes-vous d’accord avec le groupe de rap américain De La Soul qui chantait « 3 is a magic number » ?
Il est parfois difficile de vivre une histoire à trois, notamment une histoire d’amour mais en musique c’est possible. C’est très démocratique dans un groupe comme le notre. Je ne parle pas de démocratie comme en Europe où les Allemands décident de tout, mais réellement nous essayons de construire ensemble. Nous nous connaissons aussi depuis plus de vingt ans, ça aide…

J’ai lu que « III » a été assez compliqué à produire…
Tous les albums sont compliqués à produire. Il y a toujours de la frustration à produire une œuvre collective. Voilà pourquoi il faut accepter les compromis mais depuis le temps que l’on se connaît, on a appris à gérer ça !

Avant de vous lancer dans une nouvelle aventure, partez-vous des bases de l’album précédent ou faites-vous table rase du passé ?
On repart naturellement de zéro car quand vous vous retrouvez plusieurs années après, il s’est passé plein de choses dans votre vie, ce n’est pas dans le même état d’esprit : les sons ont changé, les tendances ne sont plus les mêmes… donc c’est difficile de reproduire quoi que ce soit. Je ne veux pas ressortir un cliché mais nous essayons de nous réinventer à chaque fois, c’est sincère ! Si tu arrives en studio avec des idées préconçues tu es certain qu’il n’arrivera aucun accident. Parfois, un titre est quasi prêt et l’un de nous apporte une dernière idée qui va tout bouleverser, on ne pas se priver de ça ! Ce qui est vraiment nouveau dans cet album est l’apport des voix. C’est nouveau pour nous ! Produire de la musique est similaire à la cuisine. On utilise différents ingrédients comme le sampler, les instruments acoustiques, les boîtes à rythmes et la direction prise avec le côté pop a totalement influencé la direction de l’album.

Reminder est le premier single avec comme background un soupçon de drum’n’bass…
Ha non ! Il n’y a pas de drum’n’bass. Nous avons essayé des dizaines de versions pour éviter justement de sonner Drum’n’bass, je dirais plutôt que Reminder repose sur un rythme breakbeat mais avec une légère nuance à laquelle nous tenions vraiment. Nous avons enregistré ce titre il y a cinq ans et notre équipe a trouvé que c’était un bon morceau pour découvrir cet album. Nous avons besoin de consulter notre équipe – qui n’est pas dans la création pure –, car nous, nous avons toujours la tête dans le guidon et c’est parfois très compliqué de prendre du recul sur certains aspects commerciaux.

Certaines personnes pensent que les artistes techno qui produisent un album d’électro-pop sont des gens vieillissants ?
Ils ont raison… Nous avons tous dépassé la quarantaine et nous ne pensons pas que nous devons absolument produire de la musique techno bourrée de clichés pour les gens de 20 ans. Nous avons produit beaucoup de musiques différentes et beaucoup de gens pensent que nous avons un super plan de carrière et que nous ne calculons tout ! Au final, nous ne faisons pas de la musique pour le public mais pour nous-mêmes. Oui, bien sûr nous avons vieilli, comme tout le monde, mais le pire serait de ne pas l’accepter. Cela fait vingt ans que nous sommes en tournée et l’important c’est de ne pas trahir ses convictions profondes et d’être le plus fidèle possible à nos valeurs et à ce que doit être, selon nous, un nouvel album de Moderat. Le reste importe peu… La différence avec les DJ qui se posent la question de l’âge ne nous concerne plus vraiment car nous ne sommes plus DJ : nous nous produisons en live et le public est beaucoup plus varié qu’en club.

Berlin est considéré comme la Mecque de la techno. Est-ce toujours vrai ?
Nous ne sortons plus beaucoup mais la scène club berlinoise s’est professionnalisée. Les jeunes font de plus en plus de soirées en dehors des clubs. C’est important qu’il y ait des jeunes qui gardent la flamme de l’amateurisme et organisent des fêtes ailleurs qu’en club. Il ne faut pas oublier que Berlin n’est pas la seule scène techno forte en Europe. Paris a toujours été une scène bouillonnante. Avec le Rex Club bien sûr, mais aussi avec des gens comme Bambounou ou Brain Damage. Quant à ce qu’on appelle le revival techno, je n’y crois pas vraiment car il est toujours possible de jouer un vieux morceau de Derrick May de 1991. Il n’est pas démodé et ne le sera même jamais. Ce sont les jeunes qui redécouvrent cette culture qui n’a jamais disparu. Donc peut-on parler de revival ?

Willy Richert

Découvrir :

Moderat – Reminder

Crédit Photo : © Flavien Prioreau