Muse. Désordre et chaos

Depuis sa sortie, le sixième album de Muse déclenche un phénomène de contrastes. D’un côté les journalistes de la presse musicale et la plupart des chroniqueurs web le descendent en flèche avec parfois une violence mordante. De l’autre les chiffres des ventes le maintiennent au sommet depuis la première semaine grâce à un public qui fait fi des allégations des spécialistes.

Bref, rien de nouveau sous le soleil de « The 2nd Law ». On reproche toujours la même chose au groupe britannique. Et on l’aime toujours pour les mêmes raisons.

Muse est un trio mené de voix de maître par Matthew Bellamy, issu de la prestigieuse école « Royal Academy of Music » à Londres. Doté d’un nombre d’octaves impressionnant, le chanteur a une propension à mêler la pop ou le rock dans des contrées lyriques. Depuis le premier album « Showbiz », sorti en 1999, la carrière de la formation est allée en s’accélérant jusqu’à être considérée comme un groupe « de stade », en témoigne le live « Haarp » enregistré lors de deux dates à Wembley en 2007.

Une popularité aussi grande allant souvent de pair avec des salves de critiques, des voix se sont élevées dès le début pour attaquer essentiellement deux axes : les influences trop fortement lisibles et le côté grandiloquent des compositions. Pour les uns, Muse est fabriqué de « pompages » de Radiohead, Queen, Nirvana, George Mickael, Led Zeppelin (la liste s’allongeant au fur et à mesure des albums). Pour les autres, il ne s’agit que d’influences digérées et inévitables pour qui n’a pas été sourd ces trente dernières années. Et là où les premiers entendent une musique pompeuse et prétentieuse, les seconds défendent une écriture majestueuse et allaitée aux constructions du classique.

Parchwork musical

« The 2nd Law » n’échappe pas à la règle. Les sempiternels reproches fusent et les aficionados sont de plus en plus convaincus. Mais si on laisse ces débats à qui veut bien les entretenir, il reste que ce sixième album est un exemple parfait et dense de ce que sait produire le groupe. Le titre de circonstance fait référence à la deuxième loi de la thermodynamique, celle qui introduit une irréversibilité des phénomènes menant au désordre et au chaos. Et il s’agit bien de désordre. « The 2nd Law » est un genre de pêle-mêle, de patchwork mêlant des titres très différents qui tiennent par une cohérence étrange mais qui fonctionne sans trop que l’on sache comment.

Entre intimité et J.O.

Matthew Bellamy avait annoncé vouloir revenir à une certaine intimité avec ce disque. Sur ce point c’est raté : le Supremacy d’ouverture ou le Survival qui fût l’hymne des J.O. de Londres sont encore une fois des titres de stades avec son et lumière de grand show. Figurent évidemment quelques slows très « muséens », des essais pop plutôt réussis, des rocks ancrés dans les années 1980, un Prélude façon classique de moins d’une minute… Mais pour étonner un peu plus, plusieurs plages pointent leurs bouts de pistes. Et c’est à travers elles que l’on comprend que le terme « d’intimité » faisait sûrement plus référence à des choses « personnelles » que « humbles dans la démonstration » Comme ce dubstep à tendance disco, Follow Me, chanson écrite par Matthew Bellamy pour son fils Bingham avec, pour ouverture, les battements de cœur intra-utérin de ce dernier. Ou encore Save Me et Liquid State qui sont, à la stupéfaction totale, deux chansons composées et interprétées par Christopher Wolstenholme, le bassiste du groupe qui y livre ses problèmes d’alcoolisme. Bellamy laissant sa place de leader de tous les fronts à son comparse, voilà de quoi remettre en question certaines rumeurs sur sa mégalomanie. Quant aux deux derniers titres appelés chacun The 2nd Law (avec Unstainable pour l’un, et Isolated System pour l’autre) ils sont certainement parmi les plus intéressants du disque. À la fois mélanges de classique, de grand chœur, d’électronique, d’extraits d’une explication journalistique sur la thermodynamique, ce diptyque est quasi entièrement instrumental. Une symphonie très cinématographique qui conclue un album un peu fourre-tout. Comme si Bellamy avait eu plusieurs projets en tête et qu’il avait voulu les mener tous de front au même moment. Cinq albums en un en quelque sorte, il y a de quoi en sortir à la fois impressionné et perdu.

Marjorie Risacher

Low : Ones And Sixes

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