Sufjan Stevens. Le père Noël n’a qu’à bien se tenir

Avec sa bouille d’éternel adolescent malgré ses 37 ans, ses concepts de fonds et de formes musicales, sa maîtrise de multiples instruments, Sufjan Stevens n’a pas fini d’étonner. Cette fois-ci il revient avec une idée pourtant déjà réalisée par ses soins il y a quelques années : un coffret de chansons de Noël. Mais ne vous y trompez pas,  » Silver and Gold  » n’a (presque) rien à voir avec la sempiternelle version de ce que l’on peut entendre dans les repas familiaux de fin d’année.

Sufjan Stevens est un artiste complexe, mystérieux, varié et pour qui la spiritualité tient une part importante. Sûrement parce que ses parents ont appartenu à une communauté non religieuse dans le Michigan durant son enfance. Connu pour sa folk et sa pop frôlant le classique, pour son jeu de banjo reconnaissable parmi tous et ses capacités à maîtriser une multitude d’autres instruments comme le piano, la batterie ou le hautbois, il était à l’initiative d’un projet ambitieux au début des années 2000. Il voulait alors écrire un album pour chaque état américain. Il y a bien eu  » Michigan  » le premier sorti en 2003, puis  » Illinois  » en 2005 qui lui a valu le succès qu’on lui connait aujourd’hui. Mais l’idée s’arrêta là. Un album de folk chrétienne plus tard, un autre avec les inédits de  » Illinois « , puis son retour en 2010 avec deux disques coup sur coup ( » All Delighted People  » et le très décrié  » The Age Of ADZ  » qui pousse les sons expérimentaux), Stevens fait preuve d’une palette musicale ahurissante. Et au milieu de tout cela les deux coffrets de chansons pour Noël dont celui qui vient de sortir.

Retrouver le goût de Noël

En 2006 déjà l’américain avait proposé cinq EPs réunis sous le limpide titre de  » Songs for Christmas « . Il avait alors expliqué avoir écrit ces chansons pour retrouver un plaisir à cette fête, qu’il les avait offertes à ses proches au cours des dernières années sans savoir qu’elles sortiraient publiquement un jour. Il réitère donc avec  » Silver And Gold  » : cinq disques encore avec pour contenu pas moins de 58 titres. Et là encore l’éclectisme est au rendez-vous. Comme son prédécesseur le coffret s’ouvre sur  » Silent Night « , mais version chantée cette fois. Des classiques du genre il y en a d’ailleurs d’autres, comme ces étonnants  » Jingle Bells  » ou  » We Wish You a Merry Christmas  » entonnés de manière bringuebalante par ce que l’on pourrait imaginer être une tablée de convives très avinés. Figurent également des reprises, à commencer par le titre générique  » Silver and Gold « . Datant de 1964, ce titre a été créé par Johnny Marks, très connu aux États-Unis pour ses chants de Noël, et Stevens va puiser plusieurs fois dans ce répertoire là.

 » Patchwork surprenant « 

Mais il y a surtout ses propres compositions, tantôt instrumentales, tantôt chantées. Et les genres traversés sont un survol de toutes ses capacités. De douces ballades folks, des bijoux pop, des chorales chrétiennes, des morceaux baroques, des gadgets expérimentaux, des sons classiques, électroniques, électrifiés, des ambiances d’église, de fêtes, d’angoisse, d’humour, de nostalgie, de recueillements… tout y passe.  » Silver and Gold  » est un inépuisable patchwork surprenant dont la cohérence échappe parfois, un mélange de sacré et de profane qui ne nous éclaire pas plus sur la personnalité de son auteur. Jusqu’aux durées des morceaux, l’énigme est touffue. De quelques secondes à plus de quinze minutes pour  » The Child with the Star on his Head « , magnifique folk de neige et de lumière qui finit par se transformer en musique psychédélique et déchirée.
À aucun moment au fil de l’écoute des 58 titres de  » Silver and Gold  » il est possible de deviner la texture et la couleur de la chanson suivante. De quoi laisser perplexe souvent, et sur le bord de la route des goûts quelquefois, mais le talent de Sufjan Stevens est indiscutable. Et grâce à lui notre Noël a le choix de ne pas se repasser Tino Rossi en boucle.

Marjorie Risacher