C’est l’histoire de… Chet Baker de Vanessa Paradis

En 2007 sortait l’album « Divinidylle » de Vanessa Paradis, en grande partie composé et réalisé par Matthieu Chédid. Parmi les auteurs ayant signé ce disque, figure Jean Fauque. Parolier incontournable, il a prêté sa plume a de nombreux artistes (Johnny Hallyday, Angun, Guesch Patti, Jacques Dutronc…) mais surtout à Alain Bashung. La nuit je mens c’est lui. Malaxe c’est lui encore. Osez Joséphine, Ma petite entreprise c’est lui toujours. Et tant d’autres innombrables mots qui restent gravés en nous sans toujours savoir de qui ils viennent.

Pour Vanessa donc, il s’agit de Chet Baker. Un titre qui, pour son auteur, a une sacrée histoire.

Si « Divinidylle » sort en 2007, le texte de « Chet Baker » prend naissance bien plus tôt. Douze ans avant pour être précis. Tout part de la Closerie des Lilas, une brasserie parisienne célèbre pour avoir toujours été le lieu de rendez-vous des artistes. L’endroit fût fréquenté par Baudelaire, Théophile Gautier, Hemingway, Apollinaire ou Picasso… Un jour de l’année 1995 Jean Fauque s’y trouve avec Renaud et (détail prémonitoire) Étienne Roda-Gil l’auteur de Joe le Taxi qui avait lancé la carrière de Vanessa Paradis. « Après le déjeuner je rentre sous la pluie, raconte Jean Fauque, j’avais à l’époque une vieille voiture américaine. C’est assez rare que je m’inspire de la réalité et encore moins de mes histoires personnelles mais je me souviens précisément du moment où ce texte m’est venu. J’étais donc là sous la pluie avec cette voiture quand même un peu ancienne, à rentrer chez moi où l’ambiance était alors très tendue, je ne me réjouissais pas. Et j’écoutais la cassette du disque « Let’s get lost » de Chet Baker, qui pour moi est d’une mélancolie absolue et sûrement l’un des plus beaux albums du monde. Et le tout s’est mélangé. Rentré chez moi je me suis mis derrière mon bureau et j’ai rédigé le texte tout de suite, pratiquement en un seul jet. »

La ville s’embouteille

Et moi j’prends d’la bouteille

En attendant ton appel

Je freine, je cale et t’envoie des « call me »

Et puis j’te colle ces prénoms insensés

Qu’allaient si bien aux interdits sensés

Qui nous faisaient tant de bien, tant de bien

Une fois au moins dans sa vie

De préférence la nuit

Sous la pluie, écouter Chet Baker

Au fond d’une Studebaker signée Raymond Loewy

Ecouter Chet Baker, pleurer sur tout ce qui s’enfuit

Se dire que c’est fini jusqu’à tout à l’heure

Et revenir en arrière à toute allure

Mais ce texte va attendre son heure. Jean Fauque ne sait pas bien pour qui il l’a écrit. Il va rester au chaud dans son ordinateur pendant dix ans. En 2005 il le donne avec trois autres textes à Matthieu Chédid, pensant que c’est peut-être bien lui qui pourrait en être l’interprète. Mais là encore, les événements vont en décider autrement. Ce n’est que deux ans plus tard que tout va s’emballer bien différemment : « Matthieu m’appelle soudainement, me raconte qu’il compose et réalise le prochain album de Vanessa Paradis et qu’il lui a apporté mes quatre textes. Et ça a été très spontané : elle a choisi le Chet Baker tout de suite, lui a pris aussitôt la guitare et elle s’est mise à chanter immédiatement. En un quart d’heure a priori tout roulait, la rythmique, la mélodie tout est venu naturellement… Ce qui est magique c’est qu’il a trouvé cette musique aussi spontanément que moi les mots me sont venus à l’époque. C’est le rêve quand c’est aussi évident. La première fois donc que j’ai entendu cette chanson c’était M qui me la chantait au téléphone pour me faire entendre ce qui venait de naître. »

Quelques mois plus tard, Jean Fauque est invité à l’écoute de l’album organisée pour tous les collaborateurs. C’est à ce moment qu’il entend la version définitive de « Chet Baker » et qu’il rencontre Vanessa Paradis pour la première fois. Selon lui il est d’ailleurs toujours plus magique de croiser les artistes pour qui on a travaillé après que les choses aient été faites.

Mais son histoire ne s’arrête pas là. Comme les boucles doivent se boucler et que les symboles sont souvent à la source, il lui reste une autre rencontre marquante à raconter concernant cette chanson : « Un jour je retourne à la Closerie des Lilas où Renaud organisait une petite soirée. L’endroit donc d’où le texte est parti. C’était il y a deux ans environ. J’y suis arrivé un peu en retard et je vois Renaud en grande discussion avec deux types qui avaient plutôt des looks de musiciens, lunettes noires, jeans et blouson de cuir. Ils parlaient anglais. Renaud me présente en disant évidemment que j’avais surtout écrit pour Alain Bashung. Je papote un peu avec eux puis je vais voir mes amis un peu plus loin qui m’apprennent que l’un des deux hommes était Johnny Depp. Je n’en revenais pas ! Du coup quand il est venu me saluer en partant, je lui ai dit dans mon mauvais anglais de plus en plus difficile à pratiquer au fil des ans : « j’ai écrit pour Vanessa ». Il me demande quelle chanson, je lui réponds. Et il a eu cette réflexion extraordinaire qui fait que je trouve ce garçon extrêmement bien élevé : « Chet Baker ? Mais c’est ma chanson préférée ! ». Ensuite je lui ai dit dans un anglais toujours aussi difficile que c’était très étrange de le rencontrer dans cet endroit parce que l’histoire de cette chanson avait démarré ici. Et je l’ai trouvé encore plus poli quand après on m’a assuré qu’il parlait bien le français et que j’aurais pu lui parler sans massacrer sa langue. »

Marjorie Risacher