Christine et son double

Christine s’appelle en réalité Héloïse. Et les Queens sont invisibles, travestis imaginaires, membres virtuels qui accompagnent la jeune femme de 23 ans dans une pop synthétique moderne et chic. Héloïse/Christine a donc inventé le concept du groupe solo. Plus qu’une fabricante de disque (depuis deux ans elle se spécialise surtout dans les E.Ps), la jeune femme originaire du monde théâtral, écume avec succès les scènes en affichant complet. Étonnante d’aisance elle donne des concerts qui ressemblent à des performances, seule sur scène avec pour tout accompagnement un ordinateur. Rencontre avec une artiste qui monte.

Le projet Christine And The Queens date seulement d’il y a deux ans, tout est allé très vite pour vous…

Oui, je ne pensais pas du tout que ce projet-là me professionnaliserait. J’avais juste posté des chansons sur internet, quelques vidéos que j’avais fabriquées. Et très vite Les Inrocks m’a repérée. Je me suis retrouvée finaliste CQFD alors que je n’avais jamais fait de concert. Donc Christine dans ma vie, ça a été comme une baguette magique, je n’ai pas eu à démarcher.

Ce que vous faites paraît complètement fou : totalement seule sur scène sans même un instrument pour vous cacher. Et vous semblez faire ça aussi aisément que de boire un verre d’eau, comme si c’était totalement naturel…

J’ai un certain appétit de la scène, les meilleurs moments de ma vie, je les passe là. À la limite ça m’ennuie de la quitter, la vie quotidienne m’ennuie, je n’attends que de remonter sur scène. Quoiqu’il arrive je ne suis pas souvent déstabilisée. Ce qui me donne un côté soit dingue, soit inconscient. Le fait de n’avoir même aucun instrument c’est un vrai choix. J’aime ce sentiment kamikaze d’arriver et d’essayer de convaincre des gens juste avec mon corps et ma voix. Pas une seule seconde j’ai envie de fuir, au contraire j’attends en trépignant.

Vous avez une formation de théâtre et on a l’impression que Christine est le personnage que vous revêtez avec un décorum construit autour, même s’il est imaginaire.

Je véhicule malgré moi quelque chose de très théâtral. Après, je suis contente que les gens prennent ça pour un concert quand même. C’est un équilibre assez compliqué. Avant j’accentuais encore plus le côté théâtral que j’ai un peu atténué. Mais c’est vrai que je n’envisage jamais la musique sans l’interprétation, sans la danse…

Et sans le personnage ? Héloïse ne pourrait pas être sur scène à la place de Christine ?

En fait, ça va sembler fou ce que je dis, mais je n’ai pas l’impression qu’Héloïse existe vraiment aujourd’hui. Je n’ai pas le sentiment d’être une identité physique. Je pense que dans une journée on n’est pas la même personne en fonction de son interlocuteur. C’est quelque chose à laquelle j’ai beaucoup réfléchi. Du coup ce personnage-là n’est qu’une facette de plein d’autres moi que je pourrais être. Donc je ne sais même pas si Héloïse monterait sur scène, si elle existe ou pas. C’est juste un état civil.

Vous seriez plus Christine aujourd’hui qu’Héloïse ?

Oui je pense. Avec le rythme que j’ai en ce moment, je ne suis plus vraiment Héloïse. Même seule chez moi je serais plus Christine : je danse, je compose, je travaille. Peut-être que dans cinq ans j’en aurais marre d’elle et je changerai de personnage encore, comme une mue. Je pense qu’avant Christine je n’étais pas bien, je ne savais justement pas qui j’étais. Je n’étais pas heureuse dans le théâtre, je n’arrivais pas à me trouver. Quand j’étais plus jeune j’étais persuadée d’être une marquise ! (Je suis vraiment désolée de dire ça!) Je m’habillais avec des robes bling-bling bariolées et j’étais très maniérée. Ensuite j’ai eu deux ans pendant lesquels je ne savais plus qui j’étais. Et après, Christine est arrivée. C’est grâce à elle que je peux faire des trucs aussi bizarres que d’aller chanter devant 2 000 personnes avec juste un ordinateur sans que cela ne me gêne. C’est quelqu’un qui prend toutes les faiblesses pour en faire des points forts. C’est à moitié thérapeutique cette histoire. Après je ne fais pas de l’art pour me soigner non plus, je ne règle pas mes problèmes sur scène. Mais ça m’a permis tellement de choses impossibles.

Vous ne songez jamais à vous faire accompagner sur scène ? Vous ne vous sentez jamais seule ?

Non, pour l’instant je ne me lasse pas de cette formule là. Et puis il faudrait rencontrer les bonnes personnes. Il me faut des gens avec de vraies personnalités, des caractères forts. Et pour l’instant je n’en ai pas rencontré. En fait je cherche bien plus que des musiciens.

Propos recueillis par Marjorie Risacher

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