D’une plume à l’autre : quand le rap passe à l’écrit !

Coup sur coup, trois livres écrits par des rappeurs (Disiz, HK et Axiom) viennent porter un regard original sur notre société. Que des auteurs urbains passent au format livre rien d’exceptionnel à cela ! Sans littérature pas de hip hop. Un grand nombre de musiciens ont pris la plume grâce à Hugo, Dumas ou Céline. Peu de rapports pourtant entre ces trois ouvrages. Quand Disiz nous livre un roman futuriste social assez noir, HK lui s’aventure dans le surréalisme urbain et Axiom apporte sa réflexion politique sur les quartiers populaires. États des lieux.

Disiz

René

(Éditions Denoël)

En 2025, la France sort d’une guerre civile opposant quartiers populaires et forces de l’ordre. Le Front National est au pouvoir et le pays s’apprête à voter pour ou contre le retour de la peine de mort. C’est dans ce contexte que Youcef, rebaptisé René à cause d’une loi obligeant la francisation des prénoms, va découvrir l’amour, l’amitié et la violence. L’auteur de J’pète les plombs nous emmène dans une banlieue parisienne grise, repliée sur elle-même dont les quartiers sont en guerre permanente contre des milices paramilitaires mais surtout contre elle-même. Entre anticipation sociale et science- fiction politique Disiz nous captive grâce à son héros René, bien trop tendre et sentimental pour cette société livrée à elle-même.

L’intrigue est menée tambour battant grâce à un sens du rythme directement inspiré par le rap. Le tout ponctué par un vocabulaire futuriste assez désopilant. Disiz possède le talent rare de nous plonger dans le cœur d’une banlieue imaginaire finalement pas si loin de nous : 2025, c’est demain et ce n’est pas réjouissant !

L’auteur :

Écrivain et rappeur, ce Franco-belgo-sénégalais est un touche-à-tout hyperactif. Après avoir connu le succès dans les années 2000 sous le nom de Disiz la peste (B.O. de Taxi 2), Serigne M’Baye Gueye, de son vrai nom, lance un nouveau groupe, Rouge à lèvres, plus électro puis délaisse le rap pour le rock sous le nom de Peter Punk. Il a reçu la victoire de la musique avec son album Les Histoires extraordinaires d’un jeune de banlieue dans la catégorie album rap/ragga/hip-hop/R’n B en 2006. René est son second roman.

Pour feuilleter quelques pages du livre : edenlivres.fr

Axiom

J’ai un rêve

(Éditions Denoël)

Ce n’est pas vraiment un roman mais plutôt un brulot politique largement inspiré par Martin Luther King, d’où le titre I have a dream traduit en français. Quels sont les rêves du rappeur Lillois ?

Tout d’abord celui de voir les jeunes des quartiers populaires se prendre en main. Celui de ne pas rejeter la politique dans son ensemble, de refuser le « tous pourri » et donc de s’inscrire sur les listes électorales.

Ensuite celui d’accepter d’être récupéré par les institutions. Axiom revendique le fait de se faire « voler » ses idées. Exemple. L’auteur de Ma lettre au président milite depuis de longues années contre le contrôle au faciès. Dernièrement, une de ses propositions a été intégrée par le Ministère de l’intérieur avec un récépissé délivré à chaque personne contrôlée.

Enfin et c’est peut-être l’aspect le plus passionnant de ce livre, Axiom nous explique comment l’ambassade des États-Unis investit dans les quartiers populaires car, pour les Américains la prochaine élite française viendra des banlieues. Pour lui la lutte des quartiers populaires est à mettre en parallèle avec la lutte des droits civiques des afro-américains.

Loin du discours ambiant défaitiste, Axiom apporte ici de vraies solutions pour lutter contre le fossé qui se creuse entre deux France. Même si on peut trouver son discours un peu manichéen (gentils américains contre classe politique française aveugle et sourde), le constat et les propositions avancées par le rappeur sont à méditer. On n’attend pas des artistes qu’ils apportent des solutions, on les attend plutôt dans la dénonciation, c’est ce qui fait la force de ce livre.

L’auteur :

Hicham Kochman alias Axiom est avant tout rappeur mais aussi un acteur reconnu dans le monde associatif pour son engagement citoyen. Il est le porte-parole du collectif ACLEFEU, directeur-fondateur de l’association Norside, organisation de lutte de droits civiques, fondateur de la Maison du hip hop et du Centre Euro-régional des Cultures Urbaines. Musicalement, il est auteur et producteur d’une dizaine de projets sous différents pseudos. J’ai un rêve est son premier livre. Certainement pas le dernier.

HK

J’écris donc j’existe

(Riveneuve éditions)

Dans la ville de Roubaix, un écrivain ne trouve plus le sommeil. Entre sa chronique régulière dans un quotidien local et ses cours d’écriture en prison, ce poète urbain ne tient debout que grâce à la littérature. Oui mais comment continuer à créer sans sommeil ? Car l’insomnie gagne du terrain et les hallucinations se multiplient. Les personnages de la vie réelle se mélangent à ceux sortis de l’imagination de ce « gentleman-conteur ». La médecine n’y peut rien. Deux ans sans dormir, forcément ça laisse des traces mais aussi de belles histoires. Après tout « l’Histoire avec un grand H, n’est rien d’autre que la somme de toutes nos petites histoires ». On appelle cela un conte philosophique mais ancrée dans la réalité de nos villes.

On attend des livres écrits par des rappeurs de la dénonciation à tour de bras et de la réalité sociale crue. HK, lui, a pris un chemin de traverse : il nous décrit, certes un environnement social difficile mais il choisi la poésie, le surréalisme et la digression journalistique pour nous dépeindre une partie de sa vie. Alternant billets d’opinion, textes de chansons et romans, le rappeur nordiste nous livre un OVNI de très bonne facture. Inclassable !

L’auteur :

Kaddour Hadadi, alias HK, est né à Roubaix, ville industrielle sinistrée du nord de la France. Il est le co-fondateur de l’excellent groupe de hip-hop lillois Ministère des Affaires populaires qui mélangent influence orientale, rap et accordéon. HK a décidé de suivre sa propre voie avec HK & les saltimbanks. Coup d’essai, coup de maître : sa chanson On lâche rien est devenu l’hymne des manifestations altermondialistes. Car HK est un militant de la première heure, impliqué dans sa ville, son quartier et dans de nombreuses associations. Ce citoyen du monde, passionné de littérature nous livre un premier roman à mille lieux des clichés du rap.

Willy Richert