Kyle Eastwood : « J’ai dû faire mes preuves »

En 1953, le cinéaste Clint Eastwood épouse Maggie Johnson. Ils auront un fils Kyle, né en 1968, que l’on peut voir jeune dans l’un des beaux films de son père, Honky Tonk Man. Mais Kyle Eastwood n’a pas poursuivi une carrière d’acteur. Car le jazz, une autre passion familiale, l’a saisi. Devenu contrebassiste, il passe beaucoup de temps à Paris où il a enregistré son nouvel album, « Time Pieces », un hommage au hard bop des années 1960.

Vous passez beaucoup de temps à Paris ?
Je me souviens de la première fois où j’ai visité Paris. C’était en 1976. J’étais jeune, évidemment, et simple touriste. Je voyageais avec ma sœur et ma mère qui est peintre et adore l’art. Alors évidemment, ici, elle prenait du plaisir. Elle appréciait l’Italie aussi. J’ai tout de suite adoré. J’y séjourne pendant quelques mois dans l’année, en général, j’aime bien venir en France au printemps et y passer l’été. Je loue un appartement du côté du boulevard Raspail. J’apprécie l’atmosphère ici, je me promène, je passe du temps dans les cafés. En réalité, je joue souvent, au mois de juillet et août, dans des festivals, en Europe, à Londres et ailleurs, et Paris est une bonne et agréable base.

Où vivez-vous principalement ?
Je vis entre la Californie et Paris. Je vais à Los Angeles pour travailler avec mon père. Je prends ma voiture, et je me rends un peu plus au nord, dans la région de Monterey, où j’ai grandi enfant, afin de rendre visite à ma mère.

On parle souvent de votre célèbre père, mais votre mère, Maggie Johnson, a joué un rôle important dans cotre parcours…
Oh oui, elle m’a très souvent encouragé à jouer de la musique, à faire ce qui me plaît. Mon père et ma mère sont tous deux de vrais passionnés de jazz.

Et quelle sorte de jazz aimiez-vous jeune ?
J’adorais les grands orchestres. Mon père en écoutait beaucoup à la maison. J’adorais des musiciens comme Dave Brubeck, Miles Davis, Duke Ellington… J’ai grandi dans cet environnement. À quelques kilomètres de chez nous, en Californie, se tenait le festival de Monterey où mon père m’emmenait et me présentait aux musiciens. C’est ainsi que j’ai rencontré Count Basie, et le chanteur Joe Williams. Plus tard, j’y ai joué à mon tour. Le festival, créé en 1958, est très ancien. Et il n’a pas changé. C’est toujours la même scène, comme figée dans le temps, avec un public composé de vrais fans de jazz. J’y retourne en septembre prochain d’ailleurs.

Quand vous passez de la France aux États-Unis, quelle est la différence ?
Monterey est un très bon festival, légendaire, mais je pense que les meilleurs festivals sont ici, en France et en Europe. Le public français est un fin connaisseur de cette musique. Aux États-Unis, nous avons un public aussi, mais circonscrit dans des endroits précis, à New York, à Chicago, pour une élite malgré tout.

Comment avez-vous commencé la musique ?
J’ai d’abord joué du piano, puis les rythmes m’ont attiré. Mais ma mère ne voulait pas m’acheter de batterie. Peut-être trouvait-elle cet instrument trop bruyant. J’avais pas mal d’amis dans le coin qui étaient musiciens et cherchaient quelqu’un pour jouer de la basse dans leur groupe. Alors je m’y suis mis, j’ai appris tout seul à manier la basse électrique. J’ai ensuite un peu hésité évidemment, puisque le cinéma me plaisait, et j’avais d’ailleurs commencé des études. J’y ai finalement renoncé car ma passion pour la musique était décidément plus forte. J’aimais bien Charlie Mingus, grand bassiste, compositeur et surtout leader de son orchestre, et je me suis perfectionné avec le bassiste américain d’origine américaine Bunny Brunel qui m’a aussi présenté à Herbie Hancock avec qui j’ai joué.

Vous êtes tout de suite allé vers le jazz moderne ?
Je jouais des morceaux soul, je puisais dans les classiques de la maison de disques Motown. J’adorais le R’n’B, Marvin Gaye, Stevie Wonder… Puis, à force d’étudier la musique, la prenant de plus en plus au sérieux, je me suis dirigé vers le jazz.

Vous avez travaillé pour votre père, Clint Eastwood. D’ailleurs, vous avez mis dans votre disque, le morceau que vous avez composé pour son film de guerre, Letters Of Iwo Jima.
J’ai travaillé sur le premier volet, Mémoires de nos pères. Sur les autres projets, il mettait sa touche, car Clint compose aussi, mais pour Letters Of Iwo Jima, il m’a laissé libre. Il m’a d’abord donné script à lire. Et j’ai commencé à travailler la musique. De toute façon, il lui arrive parfois de me donner des conseils. Il critique mon travail. Ce que je joue ne correspond pas toujours au style qu’il aime. Heureusement, la plupart du temps, il apprécie. Il n’était pas obligé bien sûr de me prendre. J’ai dû faire mes preuves. Il y est allé par petites touches.

Vous avez une fille, Graylen, qui a une vingtaine d’années. Vous lui avez passé le virus de la musique ?
Elle semble vraiment aimer la musique. Elle a vécu à Paris plus jeune pendant un moment, mais aujourd’hui, elle étudie la batterie à l’université de Berklee College of Music, à Boston. Son style est plus funky que jazz. Elle a une préférence pour des groupes comme Earth, Wind And Fire, George Clinton ou James Brown.

Quelle est la différence entre les jazzmen américains et français ?
Les Français sont plus ouverts à divers genres musicaux alors que les Américains sont attachés à un seul style.

Vous avez un rêve ?
J’aimerais beaucoup enregistrer un album avec un grand orchestre, dans le genre de Charlie Mingus. Ces formations étaient courantes, il y a une soixantaine d’années, elles ont un peu disparu. Pouvoir rassembler autant de musiciens coûte un peu d’argent !

Propos recueillis par Stephane Koechlin

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Kyle Eastwood – Prosecco Smile (session acoustique)

Crédit Photo : © Sylvain Gripoix