Les Femmes à l’honneur : Billie Eilish

Icône pop de la gen Z, cette jeune chanteuse américaine réussit à toucher les plus jeunes comme ses aînés, tous sensibles à la profonde émotivité de sa musique. Portrait d’un phénomène.

 

La synesthésie est un phénomène neurologique par lequel deux (ou plusieurs) sens sont associés, mariant couleurs et lettres, sons et textures … et c’est ce dont est atteinte Billie Eilish. Qui, par ailleurs, souffre du syndrome, plus gênant, de la Tourette. Ces pathologies peuvent-elles expliquer l’intensité de sa musique ? Ou cette originalité, la tient-elle de son enfance sans cadre scolaire, dans un environnement culturellement favorable, propice à laisser s’exprimer son ultra sensibilité ? En tout cas, à seulement 21 ans, cette chanteuse californienne a su imposer sa voix, ses textes et son univers au monde entier, et a été la plus jeune artiste à remporter 5 Grammy Awards, en étant à peine âgée de 18 ans.

 

Billie n’est cependant pas tout à fait seule puisque son frère, Finneas, a composé et mis en forme ses chansons. Un duo gagnant qui doit aussi beaucoup, donc, à ses géniteurs. Maggie Baird et Patrick O’Connell sont tous deux comédiens et, alors que leurs enfants sont petits, décident de leur donner eux-mêmes cours, entourés d’instruments, du piano à la guitare. Ils passent leurs diplômes tout en consacrant leur quotidien à des activités manuelles et artistiques. Billie aime l’équitation et, si sa famille n’a pas les moyens de lui offrir un cheval, passe du temps avec cet animal qui apaise ses angoisses. Mais son principal moyen d’expression, c’est la danse, qu’elle pratique avec ferveur au Revolution Dance Center, à Los Angeles.

 

À la fin de l’année 2015, sa vie change quand Finneas lui propose de chanter l’un de ses morceaux, « Ocean Eyes ». Posté sur SoundCloud, il soulève un engouement aussi inattendu qu’enthousiaste. Des reprises, des remixes… et des maisons de disques au garde-à-vous, conscientes que quelque chose de puissant peut se jouer dans cette voix douce, mélancolique, et immédiatement accrocheuse. L’année suivante, les singles s’enchaînent, et confirment la popularité bientôt mondiale d’une Billie Eilish seulement âgée de 14 ans, de « Bored » à « Idontwannabeyouanymore ». En 2019, son premier album, When We All Fall Asleep, Where Do We Go?, se classe en tête des classements dans les pays anglo-saxons. De quoi être choisie pour interpréter la chanson du James Bond Mourir peut attendre, d’atteindre les 110 millions de fans sur Instagram, de devenir une idole des (très) jeunes, conquis par ses textes évoquant la solitude, le besoin d’affirmation, le chagrin d’amour, mais également l’urgence de protéger la planète et de ne pas céder aux sirènes des addictions.

 

D’utilité publique, Billie Eilish ? Sans aucun doute, mais en échappant à la mièvrerie. Car Finneas et elle, dotés d’un sens inné de la pop, savent la manipuler afin qu’elle soit à la fois profonde et accessible, jamais trafiquée à l’excès. Leurs influences : Lana del Rey, les Beatles, Tyler the Creator, Amy Winehouse… Côté style, la chanteuse maîtrise tout ce qu’elle porte : jusqu’à ses 20 ans, de l’oversized, du fluo ou du noir d’obédience gothique, histoire d’échapper à l’hypersexualisation des jeunes stars Lolitas malgré elles. À 20 ans, elle surprend son public en posant en corset et décolorée en platine. Une posture de pin-up assumée pour celle qui est devenue femme sous le radar des réseaux sociaux… paradoxalement, en toute autonomie. Ou du pouvoir du millenial, lucide quant aux ravages de la médiatisation et de l’influence sur des fans à qui elle ne veut rien cacher.

 

Happier than Ever : le titre de son deuxième album, paru en 2021, en dit long – non sans ironie – sur ce désir de s’émanciper du patriarcat toxique des boomers, de l’inconscience écologique, sans pour autant mettre de côté ses désirs sentimentaux. « Je ne m’identifie pas à toi / Parce que je ne me traiterai jamais aussi mal », balance-t-elle, dans le morceau-titre, à un ex petit ami. Vulnérable mais pas fragile, Billie y brille sur du R’n’B, du folk, des textures jazzy, électro ou hip hop, le tout absolument tubesque. Et ne semble être qu’au début de son accomplissement artistique, qu’on devine caméléonesque. Passion Billie !