Les Femmes à l’honneur : Rosalía

À 30 ans, Rosalia, cette flamboyante chanteuse catalane s’est imposée dans les charts internationaux grâce à sa réinvention ultra pop du flamenco. Portrait d’un role model 2.0.

« Elle devrait être fière d’être indéfinissable », dit d’elle Pedro Almodóvar qui la fait tourner dans Dolor y gloria, 2019, où, dans le rôle d’une chanteuse, elle partage l’affiche avec Penélope Cruz et Antonio Banderas. Et en effet, Rosalía Vila Tobella ne ressemble à aucune autre pop star. Née et élevée à Sant Esteve Sesrovires, village de Catalogne proche de Barcelone dont l’économie est avant tout industrielle elle s’attache très vite à défendre ses pensées au moyen de la musique. À 16 ans, elle intègre l’École supérieure de musique de Catalogne, où elle épate ses professeur.e.s par son timbre capable de ressusciter les plus grandes divas latinos. Mais tout en étant enthousiasmée par le modernisme de Madonna ou de Pharrell Williams.

Celle qui a écrit une thèse sur le flamenco gagne son pain en chantant dans des mariages et autres festivités, fait quelques apparitions dans des télé-crochets puis s’illustre au sein du groupe Kejaleo. Très vite, Rosalía multiplie les collaborations avec la mode ou la danse contemporaine, forte d’un regard de braise et d’une personnalité que l’on devine ultra sensible mais ambitieuse. Sous le charme, le très chic compositeur Raül Refree réalise son premier album, Los Ángeles, paru en 2017, riche de riffs de guitare incisifs. L’année suivante sera celle de la consécration, avec El mal querer, sous la houlette du producteur électro El Guncho – à qui l’on doit le tube « Bombay », pour rappel. Il s’inspire d’un roman médiéval de langue occitane, Flamenca, où est dénoncée la toxicité de la jalousie masculine. Une voix et une danse flamenco, un decorum et des beats R’n’B, une bonne dose de rythmiques reggaeton en sus : c’est diablement singulier, mais accroche sans préavis l’attention d’un public de plus en plus large, y compris non hispanophone. Ses admirateur.trices ? Dans le désordre, et parmi beaucoup d’autres, Beyoncé, Juliette Armanet ou encore Billie Eilish, avec laquelle elle a enregistré un duo pour la série Euphoria, « Lo vas a olvidar ».

En 2022, le troisième album de Rosalía, Motomami, sacre définitivement son avènement. Sur la pochette, elle rejoue le tableau La Naissance de Vénus de Botticelli. Prétentieux ? Non, culotté. Car la musicienne marie avec une audace désarmante ce que la pop 2.0. offre de plus sexy et novateur (Moto) au registre dramatico-mélancolique hérité de la musique traditionnelle espagnole (Mami).

Sur Motomami, elle s’offre même un touchant duo avec The Weeknd, La Fama inspiré par la musique traditionnelle dominicaine… tout en scandalisant les puritains en évoquant les dessins animés pornographiques nippons sur « Hentai ». Le tout produit par une brochette de masters ès pop et hip hop : Pharrell Williams et Chaud Hugo, Michael Uzowuru (Frank Ocean, Beyoncé) mais aussi Noah Goldstein, collaborateur de Kanye West. Tous prêts à servir, sans faillir, la garde de la reine Rosalía. À l’image des équipes de Björk, PJ Harvey, Amy Winehouse… Des artistes qui ne s’en laissent pas conter et qui ont beaucoup inspiré la chanteuse espagnole.

La sexualité féminine, l’indépendance, le pouvoir d’expression du corps, le rapport à l’argent ou le romantisme débridé font partie des thèmes explorés dans Motomami, qui s’inscrit naturellement dans l’antagonisme yin et yang de la discographie de Rosalía. En cela, il la rend indispensable à un paysage musical qui n’a plus besoin de textes anglophones pour être populaire. Mais elle incarne également une gen Z qui, si elle semble aller trop vite et ne cesse de compiler les influences, n’en témoigne pas moins d’une poignante sincérité dans tout ce qu’elle entreprend.

Motomami, Columbia/Sony Music.