Les femmes du Chantier des Francofolies #2 : Suzane

A travers une série de douze interviews, RIFFX met à l’honneur 12 femmes artistes qui sont passées par le Chantier des Francos entre 1998 et 2020. Ce dispositif unique, destiné à des artistes émergents de la chanson francophone, a pour but de perfectionner leur art de la scène. Coaching personnel, soutien et conseils sont partagés tous les ans entre les professionnels de la musique et ces jeunes talents en devenir. Après Pauline Croze, RIFFX continue cette série de portraits aux côtés de Suzane, sacrée Révélation Scène aux Victoires de la Musique 2020. Pile électrique, au charisme évident, elle mérite tout ce succès naissant. Rencontre.

Bonjour Suzane, ton passage au Chantier des Francos remonte à 2018. Quelle était ta motivation pour y participer à l’époque ?

Je connaissais le Chantier et je me suis toujours dit que c’était une chance incroyable de pouvoir y passer, surtout au début de son projet. Quand on démarre, c’est toujours cool de prendre des conseils, d’être nourri par d’autres artistes et des rencontres. Ma participation n’était pas forcément prévue à la base, ça a été une sorte de bon hasard : j’étais déjà en tournée mais j’ai été appelée parce que je crois qu’une artiste n’a pas pu participer au Chantier. Ça s’est fait un peu au dernier moment. Ils étaient ravis de m’accueillir et moi évidemment j’ai foncé.

On peut dire que ce passage au Chantier des Francos a donné un coup d’accélérateur à ta carrière ? Quels sont les meilleurs souvenirs de cette aventure ?

C’est vrai que le Chantier a été là au tout début, alors que je n’avais même pas sorti un titre sur YouTube je crois, le projet prenait forme. Ils ont été très ouverts de me recevoir à ce stade de mon projet et ça a été une expérience très enrichissante. Mon meilleur souvenir, c’était de présenter pour la première fois – enfin l’une des premières – mon show sur scène devant des pros et d’autres artistes. Tout le monde donnait son avis, de façon bienveillante. C’était un bon moment et ça a déclenché chez moi l’envie de revenir sur la grosse scène des Francos.

En 2019, tu as joué sur les scènes des plus grands festivals dans toute la France. Tu n’avais même pas encore sorti ton premier album ! La scène, c’est quelque chose qui t’anime ?

Cela s’est fait petit à petit, étape par étape, déjà avec le Chantier. Rien que cette scène aux Francofolies où je suis passée entre Bigflo & Oli et Lorenzo, c’est un souvenir complètement fou. C’était la première scène où je jouais devant autant de monde, avec 15 000 personnes qui te regardent. J’étais très stressée mais j’ai transformé ce stress en énergie, l’accueil du public de La Rochelle était hypra ouf. Ça m’a donné confiance aussi pour la suite, toutes ces grosses scènes que j’ai enchaînées, tous ces festivals. Chaque étape a été folle.

Parlons maintenant de ton album Toï Toï qui est sorti cette année. Honte à celles et ceux qui ne l’auraient pas encore écouté ! Comment leur présenterais-tu ?

C’est des portraits du quotidien, de ce que je vis aussi, des personnages qui peuvent ressembler à beaucoup de gens qu’on fréquente ou peut-être même à nous. J’espère que c’est un album singulier abordant des thèmes qui personnellement me brûlent… Il a fallu que je sorte tout ça. C’est mon premier bébé, j’espère que les gens comprendront ces histoires et qu’ils arriveront peut-être à s’identifier. C’est un album un peu brut, sans codes, dans le sens où j’aime mélanger les styles : la chanson française, la chanson électro, le côté un peu urbain aussi, avec des textes qui sont très importants.

Cette année tu as remporté le prix prestigieux de la Révélation Scène aux 35e Victoires de la Musique. C’est dingue non ?

C’est complètement dingue. C’était un fantasme pour moi, même pas un rêve, parce que je ne me voyais même pas être un jour nommée aux Victoires de la Musique, et encore moins d’aller chercher le trophée que je vois aujourd’hui. J’ai passé le confinement chez mes parents et je voyais ce trophée rayonner dans le salon : à chaque fois que je passais devant je me disais : « dans une vie antérieure il s’est vraiment passé ça ». C’est toujours fou, je m’en remets toujours pas. Mais c’est une belle récompense pour cette tournée qui a été très intense, vraiment c’est une belle reconnaissance.

Y a-t-il eu un avant/après les Victoires de la Musique ?

J’ai eu du mal à le voir en étant confinée. C’est vrai que là, normalement, je devrais être dans un tour bus en train d’écumer tous les festoches. Peut-être que les curieux qui m’ont découverte aux Victoires seraient devant les scènes pour découvrir mon show… Malheureusement, ça ne se fera pas. C’est un peu un gros croche-patte du coronavirus en pleine course, mais je suis debout et je suis prête à recourir, à sprinter même, mais il faut qu’on me laisse le faire. J’ai hâte.

Revenons à nos Francofolies : tu faisais partie du line up cette année… J’espère que tu as déjà contacté l’équipe pour revenir en 2021 ?

Il y a eu tellement de rebondissements, et on n’est pas à l’abri d’en avoir d’autres vis-à-vis du gouvernement, on ne sait pas trop quand on pourra jouer. Les festivals ont l’air de prendre leur temps pour se mettre en place, mais je sais que c’est déjà dans les tuyaux. Evidemment, j’espère que ça va aller jusqu’au bout et qu’on pourra faire cette scène que je devais faire en 2020. C’était une date que j’attendais. Je suis déjà montée sur scène pendant 15 minutes et c’était fou, alors maintenant je voulais faire le manège en entier ! J’espère que ce sera juste partie remise pour 2021.

Tu as gardé une bonne relation avec les équipes depuis ton passage au Chantier ?

Carrément, la dernière fois que je les ai vues, c’était aux Francofolies de La Réunion. Il y avait Gérard Pont qui m’a toujours ultra bien accueilli, il est super gentil. Emilie Yakich aussi, j’ai croisé pas mal de gens, j’ai gardé contact avec certains. Avec certains groupes aussi j’ai gardé contact, comme Hervé et Dampa qui partageaient ce Chantier avec moi. On se recroise sur la route, c’est toujours cool, on sait que c’était une ambiance un peu colonie de vacances. Quand on recroise ces gens c’est toujours agréable.

Suzane au Chantier des Francos 2018 © Sébastien Hoog

Cette année, parmi la sélection du Chantier des Francos, il y a autant de femmes que d’hommes. Cela fait plaisir à voir et à entendre ! Selon ta propre expérience, penses-tu qu’il est plus difficile de se faire une place en tant que femme dans l’industrie ?

Je pense qu’il y a toujours des restes de patriarcat. La musique, c’est vrai que c’est quand même un milieu assez masculin, je sais que je suis entourée par beaucoup d’hommes, mais il y a quelques femmes heureusement. La mixité, on n’y est pas encore. J’ai déjà eu droit à des réflexions du style « Ah t’es sûre t’as tout fait toute seule ? », « C’est toi qui a pensé ces idées-là ? », « Est-ce que tu sais appuyer sur un bouton ? ». Même dans la presse, souvent lors d’une performance artistique féminine, on va parler d’abord de la tenue de la chanteuse et ensuite peut-être qu’on parlera éventuellement de sa performance. Sur un garçon ça se ressent moins. La fille doit entrer dans des codes, et si c’est trop loin des codes, on ne comprend pas. Il faut qu’elle soit souriante, sympathique, qu’elle dégage un peu de féminité. Je le ressens encore, mais ça n’empêche pas de voir des réussites comme celle d’Angèle ou celle d’Aya Nakamura… Des filles complètement différentes, il y en a beaucoup en ce moment et ça c’est cool. Ce qui permet à des jeunes filles, qui écoutent des chanteuses, de s’identifier différemment. Il n’y a pas une même sorte de féminité. On commence à l’imposer en fait.

Quels conseils donnerais-tu aux 18 talents de la sélection 2020 du Chantier, qui sont sur le point de démarrer leur carrière ?

Je leur dirais de rester naturels, de rester dans l’instinct de leur projet.  Il y a des gens autour qui sont là pour nous donner des conseils, des conseils très précieux, qui parfois se déclenchent trois ans après. Une phrase qu’on te dit au Chantier peut résonner plus tard, et ça c’est intéressant. Peut-être que tu ne vas pas tout comprendre au départ, il faut suivre son instinct, parce que les conseils c’est toujours bien mais il faut en prendre, il faut en laisser. Rester naturels avec tous ces gens avec qui on va travailler, être dans l’écoute, être dans le partage surtout. Il faut se faire plaisir.

C’est quoi la suite pour Suzane ?

Ça ne s’arrête pas pour moi, j’écris toujours des chansons, confinement ou pas confinement. Il y a de nouvelles chansons qui naissent donc je suis contente. Pour la scène, c’est plus compliqué parce que je ne sais pas trop ce qui va se passer : est-ce qu’on va reprendre en septembre ou plutôt en décembre ? Je ne peux pas répondre. Peut-être qu’il y aura des concerts plutôt en captation, ou dans des toutes petites villes, en zone verte, j’attends des confirmations. Le Trianon a été reporté. On est toujours un peu dans le flou, ce n’est pas évident.