Les femmes du Chantier des Francofolies #4 : Aloïse Sauvage

A travers une série d’interviews, RIFFX met à l’honneur 12 femmes artistes qui sont passées par le Chantier des Francos entre 1998 et 2020. Ce dispositif unique, destiné à des artistes émergents de la chanson francophone, a pour but de perfectionner leur art de la scène. Après Suzane et Clara Ysé, RIFFX continue cette série de portraits en compagnie d’Aloïse Sauvage, pure dynamite que vous avez pu découvrir cette année sur la scène des Victoires de la Musique avec son premier album Dévorantes. Avant de la retrouver en clôture du Printemps iNOUïS le vendredi 18 septembre à Bourges, on l’a rencontrée !

Bonjour Aloïse, ton passage au Chantier des Francos remonte à 2018. Quelle a été ta motivation pour y participer à l’époque ?

C’était vraiment le début pour moi. Je venais de partager en octobre 2017, pour la première fois, deux chansons sur internet. Mon tout premier concert a eu lieu en novembre, devant 50 personnes à Paris. On l’avait organisé de manière autonome avec celle qui allait devenir ma manageuse : Mélissa Phulpin. De base, elle était mon attachée de presse, elle m’a fait voir tout ce qu’il y avait comme aides et tremplins pour des jeunes pousses comme moi, qui voulaient entreprendre un parcours musical et artistique. Et le Chantier des Francos en faisait partie. Ce qui m’a vraiment donné envie c’est le côté accompagnement, la possibilité d’être en immersion. Aussi, pouvoir rencontrer des professionnels et leur demander conseil tout simplement par rapport à là où j’en étais, c’est-à-dire au tout début. En bonus, il y avait cette option de pouvoir jouer aux Francofolies de la Rochelle, ça c’était vraiment la cerise sur le gâteau.

On peut dire que ce passage au Chantier des Francos a donné un coup d’accélérateur à ta carrière ?

Ça je sais pas, mais ça fait partie des marqueurs. Forcément quand on appartient à une sorte de promotion, 2018 en l’occurrence, avec un tel ou un tel, ça éveille la curiosité des professionnels. J’étais avec Voyou, Foé… Des artistes qu’on croise, qu’on suit, on se soutient dans nos parcours respectifs. Ça nous a tous mis un petit coup de projecteur pour en tout cas poursuivre et ça nous a aidés pour la croissance.

© NÉDA YAZDANIAN

Cette année tu as sorti ton premier album : Dévorantes. Pour celles et ceux qui ne l’ont pas encore écouté, peux-tu nous parler de ce projet ?

C’est mon premier album, qui est une bonne description musicale de la personne que j’étais au moment de l’écrire. C’est un projet très personnel où les chansons viennent de mon vécu intime : il n’y a pas de mensonges, il n’y a que des histoires quotidiennes et personnelles racontées en chansons et puis j’ai voulu montrer un peu les différentes facettes de ma personnalité musicale. C’est-à-dire à la fois de la chanson française, des sonorités électro ou « plus urbaines », même si maintenant ça veut un peu rien dire, comme la trap, l’afro trap, le hip-hop et le rap évidemment. Tout se relie dans les ambiances par mon écriture. Dévorantes, disons que c’est la première pierre à l’édifice.

On aimerait ajouter l’un des titres de ton album dans notre playlist de l’été, tu nous conseillerais lequel ?

Je vous conseille d’ajouter Si on s’aime tout simplement parce qu’il correspond bien au niveau des sonorités. C’est mon petit morceau « summer mood » et puis il y a quelques surprises qui arrivent avec ce titre à la rentrée… donc il faut que vous le connaissiez par cœur d’ici là (rires) !

Plus tôt dans l’année, tu as été nommée « Révélation Scène » aux 35e Victoires de la Musique. Cette reconnaissance de l’industrie, ça fait plaisir ?

Au-delà de me faire plaisir, ça m’a vraiment aidée. Avoir la reconnaissance du milieu professionnel ça donne quelque part confiance, malgré le stress et la pression. Le fait de ne pas avoir remporté le prix de la « Révélation Scène », c’est pas très simple comme moment de vie, mais j’en suis ressortie avec la conviction intime que j’étais à ma place, et que personne ne pouvait me la donner à part moi-même. Ça m’a donné beaucoup de force. Je pense que les Victoires ont ouvert un chapitre d’affirmation de moi. Quand on démarre, c’est normal, on a peur et puis il y a des petits moments comme celui-là qui sont symboliques certes mais également importants. C’était agréable d’avoir de la reconnaissance vis-à-vis de la scène, parce que c’est vraiment pour la scène que je fais ça. J’ai quelque chose à défendre et à proposer sur scène, d’ailleurs ceux qui sont déjà venus me voir me confortent dans cette idée-là. Il y a beaucoup de gens qui n’adhéraient pas forcément à ma musique de prime abord et en venant au concert, ils se laissent charmer et me suivent ensuite. J’invite tous les gens à venir me découvrir dans cet espace-là.

Cela te manque ?

Oui ça me manque et c’est surtout frustrant de pas avoir pu faire vivre ce premier album en live, avec tout ce qu’on avait préparé dont une grosse tournée. Mais on fait vivre le projet d’une autre manière. C’est toujours comme ça, quand on n’a plus quelque chose, on se rend compte à quel point ça nous manque et combien c’est indispensable à notre vie. On saura encore plus en profiter et je pense que les reprises vont être assez émouvantes.

Cette année, parmi la sélection du Chantier des Francos, il y a autant de femmes que d’hommes. Cette parité, ça fait plaisir ! Selon ta propre expérience, penses-tu qu’il est plus difficile de se faire une place en tant que femme dans l’industrie ?

Je pense que j’ai eu de la chance d’avoir été dès le départ soutenue et d’avoir pu rapidement trouvé des gens qui allaient former mon équipe, qui allaient me donner les moyens de progresser et de mettre en forme mes désirs artistiques. C’est peut-être dans les structures-mêmes ou les hauts postes que les hommes sont largement représentés, ça se ressent beaucoup dans la vision aussi. Au début, j’ai vu la difficulté de m’imposer en tant que femme leader d’un projet, j’ai vu la difficulté à accorder autant de confiance et de légitimité à une jeune femme maîtresse de son projet et de son destin. Même dans la technique, au niveau des ingénieurs du son ou des beatmakers, c’est majoritairement des hommes. Dans mon équipe, les musiciens sont des mecs, les ingé sont des mecs, les techniciens mecs… mais je les adore (rires) ! Ils ont une sensibilité justement proche de la mienne et même au-delà. Je me suis rendu compte aussi qu’on a souvent tendance à penser qu’une femme n’a pas écrit ses textes ou n’a pas composé. On a l’impression qu’il faut redoubler d’efforts dans la représentation qu’on a de nous pour faire comprendre qu’en fait on écrit aussi nos textes et on compose nos chansons.

Aloïse Sauvage s’essayant à la basse avec Foé lors d’une jam au Chantier des Francos (juin 2018) © Sébastien Hoog

Quels conseils donnerais-tu aux 18 talents de la sélection 2020 du Chantier, qui sont sur le point de démarrer leur carrière ?

Avec le recul de ces deux années passées, je dirais : ne pas laisser certaines personnes vous faire croire que vous n’êtes rien sans eux, notamment au niveau de ce gros monde qu’est l’industrie musicale. Croire justement en sa singularité, en sa volonté artistique et même en sa sensibilité… C’est ça qui vous fera vous démarquer des autres. Croire en ce qui vous touche à vous au plus profond et pas ce qui peut plaire aux autres parce que si ça ne vous touche pas, ça ne vous plaira pas, donc ça ne pourra plaire à personne.

C’est quoi la suite pour Aloïse Sauvage ?

Je suis déjà en train de préparer la suite, quelle sera-t-elle exactement, je ne peux pas vraiment le dire maintenant mais en tout cas le coronavirus et le confinement ont bousculé tous mes plans parce qu’il n’y a pas pu avoir de tournée. Je pense qu’après les quelques concerts d’automne, je vais plutôt m’extraire et réfléchir à tout ça et revenir encore plus forte en 2021. On verra si c’est avec un nouveau projet ou pas… sûrement me connaissant !