Les femmes du chantier des Francofolies #1 : Pauline Croze

A travers une série de douze interviews, RIFFX met à l’honneur 12 femmes artistes qui sont passées par le Chantier des Francos entre 1998 et 2020. Ce dispositif unique, destiné à des artistes émergents de la chanson francophone, a pour but de perfectionner leur art de la scène. Coaching personnel, soutien et conseils sont partagés tous les ans entre les professionnels de la musique et ces jeunes talents en devenir. RIFFX démarre cette série de portraits en compagnie de Pauline Croze, une artiste qui sait manier les mots et les mélodies comme personne, souvent en toute simplicité et avec beaucoup de justesse. Lors de notre rencontre, elle est revenue sur son passage au Chantier des Francos et son nouveau projet musical amorcé par le titre inédit Kim. C’est parti !

Votre participation au Chantier des Francos remonte à 2005. Quelles étaient vos motivations à l’époque pour rejoindre ce dispositif ?

L’axe important du Chantier des Francos, c’est de travailler la scène. Le fait de se confronter aux avis d’autres artistes qui sont au même stade que nous, en train de préparer leur premier album et de commencer à entrer dans le monde professionnel, c’était aussi intéressant. Rencontrer les intervenants pour des cours de chant et participer aux ateliers d’écriture, ça aide à préciser une pratique. Ce que je retiens c’est de pouvoir se tester sur scène avec un regard de professionnels. C’est un regard bienveillant, qui aide à solidifier nos points forts.

En 15 ans le Chantier des Francos a évolué. Quelles sont les différences notoires entre 2005 et aujourd’hui pour les artistes émergents qui y participent ?

J’imagine que c’est plus complet qu’à l’époque, car aujourd’hui il y a aussi l’approche de la musique par rapport au numérique : comment l’artiste se débat avec internet etc., c’est un plus qu’il y a eu ces dernières années et qui ne posait pas de questions il y a 15 ans.

Ce passage au Chantier des Francos a permis une accélération dans votre carrière ? Quels sont vos meilleurs souvenirs ?

Tout à fait, c’est resté bien frais dans ma mémoire. Ce que j’en garde c’est déjà l’encadrement : on a vraiment été très bien accompagnés par les intervenants, on sent beaucoup de bienveillance et on veut nous pousser vers le haut. Ça donne beaucoup de force et d’énergie pour continuer à proposer nos créations. Il y a aussi les échanges avec les autres artistes : j’ai beaucoup aimé rencontrer d’autres musiciens comme moi qui étaient avec leurs doutes, leur style… C’était intéressant d’avoir cet aspect en plus de celui des pros.

La même année vous sortiez votre premier album éponyme, le succès est vite arrivé. Cela doit être fou quand on est une jeune artiste qui démarre ?

C’est vrai que c’est formidable d’avoir une reconnaissance aussi gratifiante. On arrive au stade où on peut vivre de sa musique et ça c’est génial. Mais j’étais quelqu’un d’assez mal dans ma peau et j’ai vécu assez mal le fait d’être exposée. On n’est jamais prêts pour le succès. Faire de la musique c’est plus fort que moi mais je suis plutôt discrète et réservée dans ma vie. Aujourd’hui ça va un peu mieux. Si j’ai profité de ce succès à plusieurs reprises, à cause de ma vulnérabilité ce n’était pas quelque chose que j’ai apprécié pleinement et à chaque moment.

Vous avez même été nommée aux Victoires de la Musique avec ce disque. Pour RIFFX, cela ne fait aucun doute, vous auriez dû gagner !

C’est hyper gratifiant et ça fait plaisir, et ce n’est pas grave si je n’ai pas remporté le prix. C’est déjà une consécration d’être là, on sent qu’on a monté un petite marche sympa (rires) et qu’il faut réussir à rester dessus, ce qui est moins facile. Les Victoires sont un beau témoignage du public et des professionnels. Cela m’a permis d’être vue et découverte par des gens qui ne me connaissaient pas, puis de faire évoluer et grandir mon disque, avec des concerts notamment. Qui sait, peut-être que le prochain album va me porter jusqu’aux Victoires (rires) ? On verra bien. Les prix c’est sympa comme tout mais il ne faut pas en faire un but en soi, ce qui compte c’est de s’épanouir dans ce qu’on fait. J’ai encore la chance de vivre de ma musique et c’est ça la vraie récompense.

Vous avez ensuite eu l’occasion de jouer à plusieurs reprises aux Francofolies de La Rochelle.

Deux ou trois fois. J’ai par exemple fait un concert avec Féloche chez l’habitant dans le cadre du off du Chantier des Francos il y a 2-3 ans, c’était super. On était dans un petit village près de La Rochelle. On a mélangé nos répertoires avec Féloche, c’est un ami depuis maintenant cinq ans. Il y avait plein de monde, le public se tenait à un mètre de nous, c’était un très beau moment. Que ce soit pour le chantier des Francos ou les Francos, le mot qui revient c’est le professionnalisme. Tout est très bien organisé, avec soin, et en même temps le sérieux n’empêche pas de s’amuser, il y a des choses un peu folles qui se passent. C’est vraiment un super souvenir.

© Néda Yazdanian

Cette année, parmi la sélection du Chantier des Francos, il y a autant de femmes que d’hommes. Cela fait plaisir à voir et à entendre ! Selon votre propre expérience, pensez-vous qu’il est plus difficile de se faire une place dans l’industrie en tant que femme ?

Honnêtement, mon expérience ne reflète pas du tout ça. Bien sûr, il y aura toujours un mec qui ne comprendra pas qu’une fille fasse de la musique et qui va dire : « tu t’es trompée d’endroit ma petite ». On m’a prise très vite au sérieux et ma musique aussi. Les gens avec qui j’ai travaillé, les musiciens, globalement ça s’est toujours très bien passé. Je ne ressens pas que c’est compliqué de se faire une place dans la musique en tant que femme. Après, je pense que je suis bien entourée, avec des gens qui ont une mentalité ouverte. Par contre, on entend souvent parler des réalisateurs d’albums mais les réalisatrices c’est plus rare, comme celle de mon premier album : Edith Fambuena. C’est pourtant une artiste extraordinaire qui mérite autant que les autres d’être mise en avant. Les médias vont parler des musiciennes, des chanteuses, mais dès qu’une femme est aux manettes, au sens où elle dirige un album, ils en parlent moins. La parité femmes-hommes dans la musique, il faut toujours que ce soit à propos et corresponde à la ligne éditoriale du festival. Je fais confiance aux Francos !

Quels conseils donneriez-vous aux 18 artistes sélectionnés pour le Chantier des Francos 2020 ?

S’entourer de gens qui comprennent bien leur univers, avec qui ils seront sur la même longueur d’ondes. C’est-à-dire être d’accord sur les choses qu’ils sont prêts à céder ou à ne pas céder sur leur musique. C’est très important. Il faut être dans une même exigence, savoir où on peut aller mais aussi là où ça peut mettre notre musique en péril, et ne pas faire les choses à tout prix. Être dans une cohérence et exigence artistique semblable, ce qui n’est pas évident.

Depuis le début de votre carrière, cinq albums sont sortis. Quel regard portez-vous sur votre discographie ?

J’ai un regard assez critique : je ne regrette pas certains choix mais sur certains albums il y a parfois eu de la confusion dans ce que je voulais exprimer. Maintenant, au contraire, j’ai l’impression que j’ai fait murir tout ça et que j’ai réussi à me rassembler. Je sens que j’arrive mieux à mener mes propos. J’arrive à donner plus de consistance et à explorer de nouveaux thèmes. Avec le recul, je me dis que j’ai expérimenté certaines choses qui ne m’allaient pas forcément dans l’esthétique, ça m’a beaucoup appris. Aujourd’hui je retrouve une nouvelle envie d’écrire, de composer et de m’exprimer. Une passion qui était un peu partie. Je pense aussi que je peux désormais aborder des sujets qui ne sont pas de l’ordre du sentiment ou de l’amour, ce qui avant était beaucoup mon thème.

En parlant de nouveauté, un sixième album est-il en préparation ?

Complètement. J’ai commencé à composer et écrire l’été dernier, en vue de sortir l’album l’année prochaine si la situation le permet. On fait les choses en douceur. Je suis à l’étape de l’enregistrement : pendant le confinement j’ai enregistré les voix et les guitares définitives. Ça a été une période de confirmation des morceaux. A l’issue de ce confinement, quatre titres ont été mixés et masterisés, ils sont prêts. Je peux donc me remettre à écrire et à composer (rires) !

Parlez-nous justement de votre nouveau single Kim. Ce titre d’ailleurs, ce n’est pas pour Kim Kardashian mais pour Kim Jung-un !

C’est une chanson d’amour décalée. Avant mes textes étaient très premier degré, cette fois le titre part tout simplement du fait que les médias n’arrêtaient pas de lancer des infos sur Kim Jung-un en train de faire des tests nucléaires, pour lancer des missiles sur les Etats Unis. Je me suis dit : « Ce mec a quand même le pouvoir d’appuyer sur un bouton et de détruire une partie de la planète ». J’ai donc commencé à écrire une chanson sur lui, qui a évolué en une chanson d’amour décalée. Même moi je suis étonnée d’avoir écrit ces paroles, le ton décalé n’est pas forcément ce qu’on connait chez moi. Je suis contente d’avoir suivi ma pulsion d’écriture car auparavant je me serais sans doute censurée, je n’aurais jamais écrit l’histoire d’une nana qui est complètement effrayée et fascinée par quelqu’un, où cette fascination tourne à un sentiment amoureux envers un dictateur.

C’est quoi la suite pour Pauline Croze ?

On va d’abord voir comment évolue Kim et d’autres titres vont suivre dans l’année, avec des clips parce que c’est hyper important. Ces nouvelles chansons, je les jouerai sûrement lors de sessions acoustiques – tant que les concerts sont proscrits –  et elles vont vivre aussi sur les ondes grâce aux radios. Mon but pour l’instant est de sortir de nouveaux titres et continuer d’écrire et composer pour l’album. Il me manque encore 4-5 chansons pour compléter le tout. C’est donc retour au bureau… enfin, avec ma guitare et mon cahier d’écriture (rires) !