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Rover c’est Thimothée Régnier, un jeune homme de presque deux mètres et bâti comme un menhir qui aurait de la grâce. Et de la grâce il en a aussi dans sa voix étonnante passant des résonances de caverne aux hauteurs des voûtes, dans sa musique mêlant le lyrisme avec le rock et le folk. Un esthétisme qui préfère l’élégance au pathétisme et qui survole dans un même temps les seventies et les années 2000 sans s’emmêler les ailes une seule fois. Son premier album éponyme d’une beauté touchante est rempli de sons soigneusement choisis et de mots qui ressemblent à des cris. Il faut dire que l’histoire de sa conception est forte et rare.
Vous chantez dans un anglais parfait, on peut aisément comprendre que cette langue est loin de vous être étrangère…
En effet, je suis né à Paris mais quand j’ai eu sept ans ma famille est allée vivre à New-York. On y est resté pendant sept ou huit ans, et c’est d’ailleurs pendant cette même période que la musique est entrée dans ma vie. Au Noël de mes sept ans ma mère m’a offert une petite guitare électrique et j’ai commencé à jouer avec mes deux grands frères. On y passait la plupart du temps. Tout le monde chantait, on mettait les trois voix en harmonie, on échangeait les instruments, il y avait vraiment une approche très naïve et enfantine. Par exemple j’ai mis trois ans avant de découvrir qu’une guitare ça s’accorde. Il m’en reste aujourd’hui le désir d’en connaître le moins possible sur la technique de l’écriture. Parfois ça me permet d’aller dans l’interdit, de rester libre et ambitieux parce que naïf.
Le projet Rover va naître d’une fracture incroyable. Comment cela a commencé ?
En 2005 je finis mes études et mon frère est au Liban, il est chanteur dans un groupe de rock, et il me dit « Viens voir, viens une semaine, quinze jours ». J’y vais un peu à reculons. Et en fait je suis tombé totalement amoureux du pays. Les gens sont souriants, il fait toujours beau, on peut acheter une vieille voiture pour y ranger le matériel, répéter au-dessus d’une station service, faire réparer sa guitare chez le luthier sans que ça coûte un bras… j’y ai vécu des jours incroyables ! Un jour je rentre d’une répétition et je vois des étudiants bosser derrière des palissades. Alors je leur demande ce qu’ils font. Et ils me racontent qu’ils ont 48 heures pour faire le maximum de recherches parce qu’après un immeuble sera construit là et qu’il s’agit d’un site archéologique. Je leur ai demandé si je pouvais les aider en leur précisant que je n’y connaissais strictement rien. Ils m’ont donné tout l’équipement et j’ai passé deux jours dans un chantier de 800m2 à trouver des pièces romaines, des statues… il n’y avait pas le temps d’apprendre, je creusais et dès que je touchais quelque chose je le mettais de côté. Encore une fois cette naïveté sans l’apprentissage, faire sans la science. Malheureusement l’immeuble a été construit 48heures après.
Vous aimez tellement ce pays que vous décidez d’y rester donc ?
C’est ça, j’y suis allé pour trois mois et j’y suis resté trois ans. Je renouvelais mon visa à chaque fois en sortant du pays. Mais cela restait tendu parce qu’ils se demandaient de quoi je vivais. Et il vaut mieux ne pas dire que l’on est musicien, là-bas c’est presque assimilé à la prostitution parce que c’est vivre avec son corps. Je disais que j’écrivais un livre. En réalité on avait créé un groupe un peu provo qui s’appelait The New Government. Toute la jeunesse s’était rassemblée derrière et on était très libre, on jouait du rock et du punk dans des sous-sols… À ce moment je ne suis pas chanteur, je fais des chœurs, j’arrange un peu, je commence à composer, je joue de la guitare…
Puis un jour, tout s’effondre…
Oui. Un label américain s’intéressait au groupe et nous avait dit « On va prendre en charge vos papiers, on va officialiser tout ça« . Mais en fait ils ne le font pas et nos visas arrivent à expiration. Du coup on s’est retrouvé dans une situation très délicate, on ne pouvait même plus quitter le pays puisque tous les délais étaient dépassés. On s’est rendu à la sûreté générale pour demander un renouvellement sur le sol libanais. Ce qu’il ne faut jamais faire. En plus il y avait eu des événements du coup ils étaient encore plus sceptiques face aux ressortissants. Arrivés là-bas ils confisquent mon passeport, celui de mon frère, et écrivent en rouge « interdiction de revenir au Liban à vie » en nous disant qu’on avait trois jours pour quitter le pays. On rentre dans notre appartement et on se dit que ce n’est pas possible. Mais ça l’était. Alors on fait le troisième album en une nuit, on enregistre tout live, on prend ce qu’on peut de nos affaires et on dit au revoir à nos proches. C’était lunaire. J’ai pris un billet au dernier moment qui m’a coûté un bras évidemment, et ma copine m’a déposé à l’aéroport. Elle n’a même pas pu se garer, je suis descendu et elle est partie. Je me suis retrouvé à la fouille où ils ont tout vérifié, jusqu’à regarder dans les cordes de ma guitare ! Et arrivé au check-in j’avais trop d’excédent de bagages, sans plus un sou en poche. Du coup j’ai vidé mes fringues dans une poubelle et je suis parti avec un sac à dos et ma guitare. Je n’avais plus rien. Je rentre en France. Et tout s’arrête.
Il a fallu de manière très soudaine et violente faire le deuil d’une vie ?
Je n’avais plus de groupe, plus de copains, plus de numéro de sécu… ça a été un vrai point de non retour. Au bout d’un moment je suis parti à Berlin, errer et me laisser du temps pour bien réfléchir. C’est dans les rues de cette ville que je crée dans ma tête le projet Rover. Ensuite je me suis réfugié dans une vieille maison en Bretagne avec mon vieux pull marin, mon jean, ma guitare défoncée. C’est une maison de 1720 qui est très habitée par des animaux empaillés, un truc très bizarre. Je me suis donc installé, j’ai chauffé une seule pièce de la maison, et je me suis mis à composer. Mais ces chansons n’avaient pas vocation à être écoutées, elles étaient thérapeutiques. Je suis resté tout seul comme ça pendant trois ou quatre mois à enregistrer ces maquettes. Je ne parlais à personne, je dormais quand j’avais sommeil, je mangeais quand j’avais faim. Aujourd’hui je me dis que c’était la meilleure période de ma vie. Je recherche encore au quotidien cet état où il n’y a plus de montre ni de portable, où le temps s’arrête. C’est un moment où on fait le deuil de beaucoup de choses, c’est assez violent et la musique m’a sauvé. Une renaissance sûrement.
Une manière de grandir également ?
Complètement…Au delà de la musique c’est aussi avoir appris à ne plus se cacher derrière un groupe, à assumer mon physique, ma voix. Comprendre que les défauts peuvent être des alliés. Revenir à des choses honnêtes et plus terriennes, d’où le nom Rover avec les deux R bien plantés. Le jeune homme qui est entré dans cette maison en Bretagne n’est pas le même que celui qui en est sorti. Du coup je n’ai pas eu de tabou dans mes textes, j’ai essayé de ne pas me cacher. Même si l’avantage d’utiliser l’anglais est qu’un mot peut en signifier six. On arrive à un endroit dans une phrase, comme le fait très bien Dylan, où il y a six portes qui peuvent s’ouvrir. Ma mère ira peut-être dans la première, moi dans la sixième et toi dans la quatrième…
Comment aujourd’hui rechantez-vous ces chansons ? Finalement elles sont tellement vêtues de quelque chose dont vous avez justement voulu vous déshabiller…
C’est toujours bizarre. Parfois je les habille d’autre chose dans ma tête. Et parfois avant de monter sur scène je me remémore. Peut-être que dans dix ans je n’aurais vraiment plus envie de les chanter, parce que tout ça sera loin de moi. Mais finalement ce disque est mon premier projet solo et c’est comme un premier amour, je crois qu’on y pense toujours.
Vous avez envoyé l’album aux personnes qui vous étaient proches au Liban et que vous n’avez plus jamais revues ?
Non. Peut-être un jour.
Marjorie Risacher
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