Julien Bourgeois : La musique en portraits

Le portraitiste Julien Bourgeois est l’un des meilleurs photographes musique en France. Il a publié le livre Swedish Music Landscapes, consacré à la scène pop suédoise, mais vous avez plus sûrement croisé ses clichés au détour des pages du Monde, de Libération, Télérama, Magic, Les Inrockuptibles, Air France Magazine, Studio Ciné Live ou même le New York Times et le Wall Street Journal. Pour Riffx, le trentenaire évoque son parcours et son travail.

Quelle est votre formation ?
J’ai commencé par faire Arts Plastiques au lycée, avec l’option Histoire de l’Art, dans l’idée de devenir peintre. C’est un peu ce qui m’a mis le pied dans le monde de l’art. Quand j’ai terminé le lycée, je me suis inscrit aux Beaux-Arts, à Dunkerque, où l’enseignement de la peinture m’a tellement déçu que je me suis retrouvé dans le labo photo à me dire que c’était exactement ce que je voulais faire. Si j’allais aux Beaux-Arts, c’était pour acquérir une technique précise : je savais très bien ce que je voulais faire en peinture, quelque chose de très réaliste, qui demande beaucoup de technique. Et ce côté technique, presque mécanique, au service d’une vision, je l’ai clairement retrouvé dans la photographie. Mais très vite, je me suis senti limité, aux Beaux-Arts, en photographie, parce que ce n’est qu’un petit pan de leur enseignement. J’ai donc passé ma deuxième année là-bas à préparer le concours pour l’école de photographie d’Arles, où j’ai été pris et suis resté trois ans. J’en suis sorti en 2004.

Est-ce que l’idée d’associer photo et musique était présente dès le début ?
C’est venu très rapidement et je pense que la musique était déjà présente dans mon envie de peinture, même si ça peut paraître étonnant. Ma culture visuelle s’est faite par la musique. Ado, je passais des heures à regarder les pochettes de disques. Pour moi, le visuel d’un album était complètement indissociable de la musique. Très vite, quand la photo est arrivée, c’était évident : je voulais faire des portraits et qu’il y ait ce lien avec la musique, créer un univers qui pouvait s’intégrer à un autre.

Quels ont été vos premiers pas professionnels ?
Dès que je suis sorti de l’école, j’avais dans l’idée de faire des pochettes de disques et je me suis dit qu’il fallait d’abord que je rencontre des musiciens. À l’époque, je lisais le webzine POPnews et j’avais remarqué qu’il y avait beaucoup d’interviews mais que rarement elles étaient illustrées par des photos. Je les ai contactés et c’est comme ça que tout a commencé. Ils faisant deux interviews par semaine et, au bout d’un an, mon book s’était considérablement rempli. Mais ça a surtout été une super école : j’ai pu voir concrètement les conditions travail d’un photographe de presse, même si à la base ce n’était pas ce que je voulais. Mon idée était de créer quelque chose autour de la musique, pas forcément rencontrer les gens dix minutes pour leur tirer un portrait entre deux portes ! Mais ça a été très formateur.

Comment s’est faite la transition vers une activité professionnelle, avec des travaux et commandes rémunérés ?
En un an, mon book avait explosé, avec assez de matière pour pouvoir montrer ce dont j’étais capable. Le tournant, ça a été de prendre mon téléphone pour essayer d’obtenir des rendez-vous auprès des rédactions. J’ai appelé Le Monde, Libération, Télérama… J’ai été plus ou moins bien reçu selon les cas mais ça m’a permis de prendre du recul sur mon travail. J’ai eu une première commande pour Libé, pour la rubrique livres. Après ça, tout s’est débloqué, on regardait mon travail différemment.

Quelles sont les grandes étapes dans la vie d’une photo ?
Le schéma classique commence par un e-mail ou un appel de la rédaction d’un magazine qui me demande si je suis disponible tel jour à telle heure, sans que j’en sache plus. Si je suis libre, on me dit qui je dois photographier et on me met en relation avec l’attaché de presse ou le manager. La plupart du temps, je dois me plier à un planning déjà établi. Souvent, ce sont des journées promo et il y a un peu d’attente : les interviews et séances photo s’enchainent. J’arrive au minimum trente minutes avant pour faire les repérages. Ce qui est important dans ma façon de photographier, c’est que je fais avec ce que je trouve. D’autres viennent avec beaucoup de matériel pour monter un studio ; je préfère composer avec le décor et la lumière. La séance en elle-même dure en moyenne un quart d’heure. J’essaie d’en tirer le maximum, notamment des clichés dans différents lieux. C’est quelque chose que j’ai préparé, voire minuté. Ensuite, je rentre chez moi, et je travaille sur les photos, que les magazines veulent souvent avoir très rapidement. Maintenant, comme je travaille en numérique, je peux commencer à travailler tout de suite sur mon ordinateur pour faire mon choix. Au fil des années, il y a de moins en moins de déchets. Puis j’envoie les photos au journal, qui choisit – parfois en les faisant valider par les personnes photographiées ou leur entourage.

Avez-vous d’autres clients que des magazines ou des journaux ?
À mes débuts, je proposais souvent aux musiciens de les photographier en dehors de toute promo ou de tout support, pour le plaisir. Ça a créé des liens avec eux. Et parfois, quand leur maison de disque a besoin de photos pour la promotion de leur nouvel album, ils m’achètent les clichés pour les proposer gratuitement à la presse, qui peut les utiliser dans le cadre de cette promotion. La vie de ces photos est assez particulières : elles ont été payées par la maison de disques et peuvent être reprises un nombre de fois incalculables dans des publications très variées.

Vincent Théval